La première année de l’entrée en vigueur de la légalisation de la marijuana au Canada s’est bien déroulée, mais des inquiétudes pointent à l’horizon, signale l’ancienne responsable du groupe de travail fédéral sur ce sujet, Anne McLellan.

L’ancienne vice-première ministre a déclaré que le nombre croissant des maladies liées au vapotage, tant aux États-Unis qu’au Canada, la faisait réfléchir.

« Sommes-nous au rouge, notamment pour un organisme de réglementation fédéral dont les principales priorités sont la santé et la sécurité du public consommateur, a-t-elle affirmé dans une entrevue. Je ne le sais pas, mais nous sommes présentement au jaune, sur la base de ce que nous constatons aux États-Unis et dans une partie du Canada. »

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Anne McLellan

La légalisation de la marijuana à des fins récréatives est entrée en vigueur au Canada le 17 octobre 2018.

Le passage à la légalité n’a pas été sans secousse. Des consommateurs ont dû composer avec des pénuries de produits créée notamment par des goulots d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement qui se sont prolongées pendant plusieurs mois. Si des provinces comme l’Alberta et Terre-Neuve-et-Labrador ont eu un large accès à la marijuana légale, les consommateurs ontariens ont dû patienter jusqu’en avril de cette année avant de voir l’ouverture d’un premier commerce ayant pignon sur rue.

Aujourd’hui, les problèmes d’approvisionnement semblent avoir été en grande partie résolus. Le nombre de fournisseurs autorisés est passé à plus de 500, mais la distribution demeure inégale au pays.

Mme McLellan reconnaît que certains aspects de l’entrée en vigueur méritent d’être critiqués, mais elle rappelle que « la perfection n’a jamais été possible ».

« La dernière fois que nous fait quelque chose de semblable, c’est lorsqu’on a mis fin à la prohibition des boissons alcoolisées. J’ose dire que personne dans ce pays n’est encore en vie pour nous apprendre comme cela s’est passé. Cela avait nécessité des années pour créer un marché légal régularisé et normalisé. »

« Tout va bien, malgré les cahots le long de la roue », ajoute-t-elle.

Le groupe de travail fédéral a tenté de minimiser les méfaits liés à la consommation de cannabis, à fournir un accès réglementé au cannabis tout en réduisant la part du marché illicite.

Des données récentes de Statistique Canada démontrent toutefois qu’une grande partie des Canadiens continuent de se tourner vers le marché noir.

Les dépenses des ménages canadiens pour l’achat légal de produits du cannabis ont augmenté depuis un an, mais l’organisme fédérale indique que « 29 % de l’ensemble des consommateurs actuels se procuraient leur cannabis auprès d’une source légale seulement. » Au deuxième trimestre, les achats légaux ont atteint 443 millions US, comparativement à 172 millions au quatrième trimestre de 2018. Toutefois, les dépenses liées à marijuana illégale ont totalisé 918 millions, une baisse par rapport aux 1,17 milliard constatés au trimestre précédent.

Des prix plus élevés pourraient expliquer cette préférence envers le marché noir.

Selon la dernière analyse de Statistique Canada, le coût du cannabis légal et illégal est tombé à 7,37 $ le gramme au cours du deuxième trimestre. Le prix moyen du cannabis illégal (5,59 $) est encore inférieur à celui du cannabis légal (10,23 $).

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Les problèmes du producteur CannTrust Holdings, qui s’est vu retirer ses licences au Canada au cours du dernier mois à la suite d’allégation de culture illégale, ont jeté une ombre sur l’ensemble du secteur.

Mme McLellan soutient que ceux qui enfreignent les règles doivent être sanctionnés afin de « défendre l’intégrité du système ». Elle se dit heureuse de voir que les autorités y veillaient.

La situation de CannTrust « n’a pas aidé », admet-elle.

« Une des raisons pour lesquelles les consommateurs sont disposés à s’approvisionner auprès du marché noir est qu’ils ont confiance en la qualité du produit. Qu’est-ce qui se passe lorsqu’un produit vendu au détail a été cultivé sans permis ? Ce n’est pas très bon pour le secteur. »

Vapotage

La prochaine étape sera l’entrée en vigueur jeudi de la légalisation des produits dérivés du cannabis, comme des aliments, des boissons et même le vapotage. Ces produits ne se retrouveront pas sur les tablettes avant la mi-décembre à cause de l’obligation imposée aux commerces de déposer auprès de Santé Canada un préavis de 60 jours signalant leur intention de vendre.

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Des bonbons à la marijuana

Ces produits ne seront pas tous égaux dans l’ensemble du pays.

Le nombre de cas de lésions pulmonaires liées au vapotage aux États-Unis a dépassé 1400, et on y a recensé 33 décès, selon le Center for Disease Control and Prevention des États-Unis. Un premier cas canadien a été diagnostiqué au Québec le mois dernier. Selon Santé Canada, d’autres cas seraient liés à cette pratique, mais sont toujours en cours d’évaluation par les autorités provinciales. La Colombie-Britannique a confirmé cette semaine son premier cas probable de maladie liée au vapotage, et la responsable de la santé de la province a déclaré s’attendre à ce qu’il y en ait davantage.

Bien que la cause demeure incertaine, le CDC a averti que les gens ne devraient pas utiliser de cigarettes électroniques ni de produits de vapotage contenant du tétrahydrocannabinol (THC), le composé que l’on trouve dans un pot.

Santé Canada dit surveiller de près la situation aux États-Unis. L’agence rappelle que les additifs, comme les vitamines, sont interdits dans les produits de vapotage de cannabis. Elle compte « prendre des mesure supplémentaires sur cela est justifié et approprié pour protéger la santé et la sécurité des Canadiens ».

Mme McLellan, qui fut ministre fédérale de la Santé de janvier 2002 à décembre 2003, dit n’avoir aucune idée de ce que les autorités ont prévu de faire.

« Sur la base de ce que nous avons vu, il existe maintenant assez de preuves pour qu’une enquête plus approfondie soit menée. »