(QUÉBEC) Les Québécois qui vivent en milieu rural sont-ils plus susceptibles de souffrir de problèmes de santé en raison de leur proximité des champs où sont épandus des pesticides comme l’ont montré des études menées ailleurs dans le monde ?

Il n’existe pratiquement aucune donnée scientifique sur le sujet. C’est pourquoi le gouvernement Legault doit mettre sur pied un registre qui permettra de cartographier l’usage des pesticides dans la province, a plaidé une chercheure québécoise de renommée internationale, ce matin, en commission parlementaire.

« On va ensuite pouvoir voir si vivre proche d’un champ où il y a eu l’épandage de telle molécule ou de telle molécule augmente le risque [de souffrir d’une maladie]. Ce serait des mesures concrètes, importantes, qui permettraient de mieux cibler quels pesticides il faut réglementer plus sévèrement », a expliqué Maryse Bouchard, professeure agrégée au département de santé environnementale et de santé au travail de l’Université de Montréal et du CHU Sainte-Justine. « Je ne suis pas en train de dire que tous les pesticides se valent, c’est des milliers de molécules différentes, mais il faudrait être capable de cibler ceux qui sont le plus dangereux. »

Les données réclamées par Maryse Bouchard et deux de ses confrères — le professeur Marc-André Verner et le médecin Patrick Ntantu Nkinsa — sont déjà recensées sur le terrain par les producteurs agricoles.

Depuis avril 2018, le Code de gestion des pesticides force les agriculteurs à tenir un registre de leur usage de ces produits chimiques à la ferme. Ils doivent conserver les données durant cinq ans. Par contre, ces données sont colligées et conservées de manière individuelle au sein de chaque entreprise agricole.

Mme Bouchard explique qu’une fois centralisées et informatisées, ces données pourraient ensuite être croisées avec celles des systèmes de santé ou d’éducation.

« Il est crucial que ces données soient accessibles aux chercheurs, à une résolution géographique et temporelle très fine afin de permettre de connaître quels pesticides ont été épandus en quelles quantités, à quels endroits et à quels moments. Il n’y a aucune raison valable pour que ces informations d’intérêt public demeurent cachées. »

Des données inquiétantes ailleurs dans le monde

Maryse Bouchard est détentrice d’un doctorat en sciences de l’environnement. Elle a ensuite parfait sa formation à l’Université Harvard et à la University of California à Berkeley.

Lors de son second stage de recherche postdoctoral à Berkeley, elle a participé à la réalisation de l’une des études les plus célèbres dans le monde sur les effets des pesticides sur les populations agricoles.

Menée sur 600 femmes enceintes vivant dans une communauté agricole en Californie, cette étude a mesuré l’exposition aux pesticides à travers les résidus dans l’urine.

« Notre étude a montré que l’exposition prénatale aux pesticides organophosphorés était associée à des déficits significatifs de quotient intellectuel. Ce résultat est important et susceptible d’avoir des conséquences à long terme sur la vie des personnes, car le QI prédit, en partie, le succès académique et est même corrélé avec le revenu une fois à l’âge adulte. »

Lors de son passage à Harvard, Mme Bouchard a participé à la réalisation d’une étude sur 1139 enfants âgés de 8 à 15 ans.

« Nos résultats ont montré que les enfants les plus exposés aux pesticides de la classe des organophosphorés étaient plus susceptibles d’être diagnostiqués avec un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). »

La commission reprend cet après-midi à 15 h avec le témoignage de l’Association professionnelle en nutrition des cultures et des Producteurs de grains du Québec.