(Montréal) Il reste encore beaucoup de travail à faire pour rendre l’accès à la pilule abortive facile et équitable au Québec et pour faire en sorte que les Québécoises puissent se prévaloir d’un véritable choix entre l’avortement chirurgical et l’avortement médical, prévient un rapport rendu public vendredi par une chercheuse au Centre de recherche du CHU de Québec — Université Laval.

« On fait définitivement bande à part [au Québec], a dit la docteure Édith Guilbert à La Presse canadienne. On a compliqué la situation. Pendant qu’à Santé Canada, on a fait plein d’efforts pour faire tomber toutes les barrières, et alors que toutes les barrières tombent au niveau canadien, nous on en met de nouvelles. Il y a quelque chose qui ne va pas. »

La pilule abortive a été approuvée par Santé Canada en juillet 2015. Elle est devenue accessible au Canada en janvier 2017, puis au Québec un an plus tard. Il s’agit d’une « approche alternative à l’avortement chirurgical, reconnue efficace et sécuritaire, [qui] permet aux femmes d’interrompre leur grossesse dans l’intimité de leur foyer », précisent les auteures du rapport « La pilule abortive au Québec en 2019 : pourquoi n’est-elle pas plus accessible ? ».

Pourtant, leur enquête menée auprès de 37 médecins (majoritairement des femmes, de l’ensemble des régions du Québec) entre janvier et mars 2018, soit immédiatement après que la pilule abortive soit devenue disponible dans la province, a permis d’identifier de nombreuses barrières à l’adoption de l’avortement médical avec la pilule abortive.

Ces barrières sont environ huit fois plus nombreuses que les facteurs facilitants, préviennent la docteure Guilbert et ses collègues. On en compte trois qui sont mentionnées par plus de la moitié des participantes : la complexité des établissements de santé, la confusion/les incertitudes à l’égard des normes de pratique et le manque de ressources ou de soutien des collègues.

« La première chose à faire est d’enlever les barrières réglementaires. Il faut absolument réduire ça pour permettre aux médecins de faire la formation en ligne et de rentrer ça dans leur mode de pratique », a dit la docteure Guilbert.

D’autres participantes à l’enquête ont évoqué l’incertitude quant à la collaboration du personnel, des collègues ou des gestionnaires ; l’incertitude quant au manque d’information ou d’expérience sur cette pratique ; l’incertitude quant aux personnes qui sont impliquées ou pourraient s’impliquer et aux ressources disponibles ; l’incertitude quant à l’organisation nécessaire pour offrir le service ; et l’accessibilité facile aux services d’avortement.

Plusieurs participantes à l’enquête, tant en cliniques d’avortement qu’en dehors de ces cliniques, rapportaient que les ressources au niveau des infirmières, du recrutement médical et de l’échographie étaient insuffisantes.

Exigences du CMQ

Les auteures expliquent que les exigences du Collège des médecins du Québec concernant la formation requise étaient considérées comme n’étant pas adaptées aux besoins, aux disponibilités et aux préférences des médecins. De plus, disent-elles, ces normes ne suivaient ni l’évolution de l’acceptation sociale de l’accès aux services d’avortement, ni la libéralisation progressive de l’avortement, ni l’évolution des pratiques médicales et de la formation médicale, ni les données scientifiques.

Les directives cliniques du CMQ, auxquelles les médecins du Québec doivent se conformer sous peine de réprimande ou de radiation, « sont restrictives et non alignées sur les lignes directrices nationales et internationales et les données probantes », ajoute-t-on.

« Les médecins qui travaillent dans les cliniques d’avortement du Québec sont presque les seuls à satisfaire aux exigences du Collège [des médecins du Québec] pour implanter la pilule abortive et à avoir l’infrastructure idéale pour débuter cette nouvelle pratique, ce qui restreint potentiellement l’accès, peut-on lire dans le rapport. Les normes de pratique sont considérées comme confuses et exagérées, ne permettant pas aux cliniciens, surtout ceux pratiquant en dehors des cliniques d’avortement, d’introduire facilement cette nouvelle approche dans leur pratique. »

Le quart des participantes désiraient que les exigences du CMQ concernant cette nouvelle pratique soient clarifiées.

Plusieurs participantes estiment que les conditions de formation exigées par le CMQ sont trop spécialisées, exigeantes et inadaptées à leur pratique, martèlent les auteures, qui rappellent ensuite que « dans le monde, la pilule abortive est d’ailleurs de plus en plus prescrite par des professionnels autres que les médecins, comme des infirmières, des sages-femmes, des assistantes-infirmières, des assistants-médecins, des pharmaciens, et les femmes peuvent aussi se la procurer, elles-mêmes, en ligne. »

« On est la seule juridiction au Canada qui ne permet pas aux infirmières praticiennes spécialisées de faire cette pratique-là de façon indépendante, a rappelé la docteure Guilbert. Partout dans le monde, les infirmières qui ont les aptitudes de nos IPS font ça, et même un certain nombre d’infirmières qui n’ont même pas les compétences de nos IPS. »

Quelles sont alors les motivations du CMQ pour « maintenir des conditions réglementaires aussi restrictives à l’égard de la pilule abortive ? », demandent les auteures.

« Je ne suis pas la porte-parole du Collège, a répondu la docteure Guilbert. Tout ce que je peux dire c’est qu’on a voulu restreindre la pratique de l’avortement avec la pilule abortive au Québec, et on y réussit très bien, malheureusement. »

Difficultés d’accès

De plus, l’étude « fait ressortir la notion de culture chirurgicale qui perdure dans certaines cliniques d’avortement québécoises de zone urbaine et qui, par conséquent, ne favorise pas l’implantation de l’avortement médical avec la pilule abortive ».

« Quelques participantes d’expérience mentionnaient qu’il semblait que certains professionnels de la santé de cliniques d’avortement préféraient l’approche chirurgicale à l’avortement médical. La culture actuelle de la pratique de l’avortement dans certaines cliniques du Québec apparaît, selon les témoignages recueillis, plutôt favorable à l’approche chirurgicale », écrivent la docteure Guilbert et ses collègues.

Le document affirme que « la situation vécue au Québec n’est pas différente de l’expérience vécue dans certains pays européens et en Australie où l’introduction de la pilule abortive s’est faite avec difficulté ». L’implantation au Québec a toutefois été radicalement différente de l’implantation en Colombie-Britannique et en Ontario « où, après les 18 premiers mois d’accessibilité, plus de 30 % des Ontariennes et 40 % des Britanno-Colombiennes obtenant un avortement s’en prévalaient ; au Québec, après la première année, cette proportion n’était que de 9 % ».

« Quoique le gouvernement du Québec ait garanti la gratuité de la pilule abortive et la rémunération des médecins pour l’avortement médical, le contexte médical règlementaire demeure restrictif au Québec », indique le rapport.

En avril 2019, plus d’un an après que la pilule abortive soit devenue disponible au Québec, 23 des 49 cliniques québécoises d’avortement, soit 47 % d’entre elles, la plupart en milieu rural, n’offraient toujours pas le service d’avortement médical avec la pilule abortive, déplorent les auteures.