(Québec) Le rattrapage salarial des médecins québécois a non seulement été atteint, mais il a été dépassé, particulièrement dans le cas des médecins de famille, selon un rapport de l’Institut du Québec (IDQ) obtenu par La Presse canadienne. L’auteur et ex-journaliste Alain Dubuc recommande au gouvernement Legault de mettre en place des mécanismes de correction, comme un gel ou une croissance très lente de la rémunération.

Dans son rapport de 55 pages intitulé « La rémunération des médecins : une approche économique », M. Dubuc, qui est professeur associé à HEC Montréal, revient sur le débat qui a fait rage au Québec. En campagne électorale, le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ) et actuel premier ministre du Québec, François Legault, s’était engagé à réduire d’un milliard l’enveloppe salariale des médecins spécialistes. Il a depuis décidé d’attendre les résultats de l’étude commandée à l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS).

M. Dubuc en vient à la conclusion que cette étude de l’ICIS, attendue pour l’automne 2019, ne suffira pas pour guider le Québec dans la recherche d’une rémunération juste et raisonnable pour les médecins. « En effet, une fois que nous aurons cette information, qu’est-ce qu’on fera avec ? demande-t-il. L’important n’est pas de connaître l’écart actuel de la rémunération entre le Québec et le Canada, mais bien de déterminer quel écart serait approprié. »

S’appuyant sur les plus récentes données de l’ICIS, qui englobent maintenant l’ensemble des sources de revenus des médecins et non pas seulement ceux qui proviennent de la rémunération à l’acte, il affirme qu’en 2016-2017, le paiement moyen pour un généraliste équivalent temps plein au Québec s’établissait à 344 214 $. Cela dépasse de 15,7 % celui des généralistes ontariens et de 7,1 % la moyenne canadienne, et place les omnipraticiens québécois au deuxième rang canadien, derrière l’Alberta, « un renversement de situation majeur », selon lui.

Par ailleurs, en 2016-2017, le paiement moyen pour un spécialiste québécois équivalent temps plein, à 441 180 $, dépassait de 6,5 % celui de son homologue ontarien. Cette rémunération des spécialistes est légèrement inférieure à la moyenne canadienne et se situe au septième rang des provinces canadiennes, affirme-t-il.

« Au cours de l’année 2018, les généralistes et leur fédération, la FMOQ, ont été relativement à l’abri des critiques sur la rémunération des médecins, poursuit le conseiller stratégique de l’IDQ. Ces nouvelles données, qui reposent sur une base méthodologique plus solide, risquent de faire en sorte que la rémunération des généralistes fasse également partie de ce débat public.

« Depuis que le rattrapage du revenu des médecins s’est amorcé en 2004, il y a plus de 15 ans, ni le gouvernement ni la profession médicale n’ont mis au point des outils qui auraient permis de faire un suivi du processus », ajoute-t-il, en plaidant pour l’introduction dans le débat des principes de evidence-based policy, c’est-à-dire une approche économique qui se base sur des faits plutôt que sur le jeu des rapports de force propres aux mécanismes de négociation.

Vers une rémunération raisonnable

Alain Dubuc souhaite ainsi que le Québec se dote d’une grille d’analyse pour établir une rémunération raisonnable pour les médecins. Il propose cinq critères d’évaluation :

• Une comparaison avec les rémunérations consenties dans le monde industrialisé et ailleurs au Canada ;

• Des critères d’équité, par rapport à l’ensemble des citoyens et des autres professionnels de la santé ;

• Des critères de productivité, soit l’adéquation entre la rémunération et la prestation de services ;

• Des critères liés aux choix de politiques de santé ;

• Des critères économiques pour tenir compte du niveau de richesse et de la capacité de payer de l’État.

« Selon tous ces critères, les émoluments des médecins québécois sont actuellement très élevés, peut-on lire dans le rapport. Les médecins québécois compteraient parmi les mieux rémunérés du monde industrialisé, et l’écart par rapport au salaire moyen est l’un des plus importants. L’écart de salaire avec celui des infirmières est le plus élevé au Canada. Par ailleurs, des données de l’ICIS indiquent que le nombre de services procurés par les généralistes québécois serait inférieur à celui des autres provinces canadiennes. »

La rémunération annuelle des médecins de famille devrait plutôt s’établir dans une fourchette de 255 959 $ à 292 419 $, soutient M. Dubuc, tandis que celle des spécialistes, entre 356 127 $ et 403 631 $. Cela réduirait de façon importante l’enveloppe salariale destinée aux médecins : l’enveloppe des généralistes pourrait ainsi être réduite d’environ 505 millions et celle des spécialistes, de 363 millions.

Cependant, l’IDQ ne recommande pas au gouvernement de choisir « la voie de la récupération salariale », notamment en raison des contraintes légales et du « climat de tension et des risques de paralysie du réseau que pourrait provoquer une stratégie d’affrontement ».

L’Institut suggère en revanche d’autres interventions, comme « un gel ou une croissance très lente de la rémunération, que l’on observe d’ailleurs dans les dernières ententes avec les fédérations », en plus du réaménagement des enveloppes salariales permettant à l’État d’obtenir de meilleurs résultats en matière de services pour les sommes qu’il a consenties. Il ne précise pas toutefois pendant combien d’années les « mécanismes de correction » devraient être effectifs.

Le gouvernement devrait par ailleurs utiliser le « déséquilibre dans les rémunérations » comme « levier pour accélérer des réformes nécessaires, notamment sur l’augmentation de la productivité, la pratique médicale et l’organisation des soins, le mode de rémunération et la réduction de l’opacité qui a entouré jusqu’ici le dossier de la rémunération des médecins ».