Il y a autant d’écart entre l’espérance de vie des pauvres et celle des riches aux États-Unis que dans des pays ayant un bon filet de protection sociale, comme la Norvège ou le Canada, selon deux récentes études. La difficulté est d’aider les plus pauvres.

Filet de protection sociale

En mai, une vaste étude regroupant plus de trois millions de Norvégiens suivis pendant 20 ans est arrivée à un résultat surprenant : l’écart entre l’espérance de vie des plus pauvres et celle des plus riches en Norvège est semblable à celui qu’on retrouve aux États-Unis. « On se serait attendus, avec notre filet de protection, à ce que cet écart soit moins grand », explique l’auteur principal de l’étude publiée dans le Journal of the American Medical Association (JAMA), Jonas Minet Kinge, de l’Institut norvégien de santé publique. « Les plus pauvres semblent ne pas profiter des bénéfices de la société norvégienne et de son filet de sécurité sociale. La Norvège a un niveau d’inégalité des revenus beaucoup moins grand que les États-Unis. » Quelles hypothèses permettent d’expliquer cette difficulté à aider les plus pauvres, ceux qui sont au dernier percentile dans l’échelle des revenus ? « C’est peut-être le simple fait de ne pas beaucoup travailler, de vivre aux crochets de l’État. Ou alors la solitude, qui est plus fréquente chez les plus pauvres. Il est aussi possible que leur faible niveau d’éducation leur rende difficile l’accès aux informations médicales et aux services gouvernementaux. » M. Kinge souligne que 90 % de la population norvégienne a une meilleure espérance de vie que la médiane américaine. L’étude calculait l’espérance de vie à partir d’un âge médian de 59 ans.

Au Canada aussi

Le même mystère existe au Canada, selon l’économiste Tammy Schirle de l’Université Wilfrid Laurier, en Ontario, qui a publié l’an dernier une étude similaire concernant le Canada pour l’Institut C.D. Howe, groupe de réflexion de Toronto. « Quand on compare le premier et le dernier percentile de revenus pour ce qui est de l’espérance de vie, il y a moins d’écart au Canada qu’aux États-Unis, dit Mme Schirle. Mais c’est essentiellement parce que les plus riches aux États-Unis sont très, très riches. La presque totalité de l’écart d’espérance de vie se retrouve quand on compare la médiane au 1 % le plus riche. Notre système de protection sociale a permis d’améliorer la situation de la classe moyenne par rapport aux plus riches, mais pas celle des plus pauvres. » À noter, les données, basées sur les statistiques du régime de retraite public canadien, excluent le Québec. Marie Connolly, économiste de l’UQAM qui s’intéresse à ces questions, déplore qu’au Québec les organismes gouvernementaux soient « plus frileux qu’Ottawa » en ce qui concerne ce genre de recherche. « Si un chercheur allait cogner à la porte de Retraite Québec, il devrait passer devant la Commission d’accès à l’information, et c’est assez compliqué, dit Mme Connolly. Je ne suis pas certaine qu’une analyse similaire pourrait se faire. »

Même chez les plus jeunes

Se pourrait-il que les deux études ne reflètent pas les améliorations récentes du filet de sécurité sociale en Norvège et au Canada ? « C’est un bon point, mais certaines parties du système de sécurité sociale en Norvège ont été mises en place entre 1945 et 1960, alors on devrait voir une différence avec les États-Unis », répond M. Kinge. Mme Schirle, de l’Université Wilfrid Laurier, a la même réponse. « Nous discutons ce point dans notre étude. Si le niveau de protection sociale avait un impact sur l’écart entre l’espérance de vie des plus pauvres et celle des plus riches, on devrait voir un changement entre les gens qui sont nés dans les années 20 et ceux qui sont nés dans les années 50, ces derniers ayant bénéficié de beaucoup de progrès sur ce plan. » L’économiste de Waterloo a aussi envisagé que la mobilité sociale, plus grande au Canada qu’aux États-Unis récemment, puisse expliquer le mystère de la faible efficacité des politiques sociales sur la santé des plus pauvres. « Mais la Norvège a une mobilité sociale, entre générations, encore plus grande que le Canada, donc on doit éliminer cette possibilité », dit Mme Schirle.

L’aide au bas de l’échelle

Comment aider ceux qui sont au bas de l’échelle ? « Il se peut que ce soit difficile, dit M. Kinge. Il faudra plusieurs interventions par différents spécialistes. Par exemple, ça peut être lié à la drogue, au tabagisme, à l’obésité. » Des programmes ciblant les plus pauvres ne risquent-ils pas d’accentuer leur stigmatisation ? « Je comprends le principe, mais pour réduire les inégalités, il faut cibler les plus mal pris, les mères dès la grossesse, dit l’épidémiologiste norvégien. Honnêtement, je vois qu’il y a un débat universitaire sur le plan éthique, mais concrètement, les gens qu’on essaie d’aider ne se sentent pas diminués ou stigmatisés. »

Une analyse québécoise

Un démographe à la retraite, Robert Choinière, a récemment fait une analyse nord-américaine montrant que le Québec est au premier rang de l’espérance de vie parmi les provinces canadiennes et États américains, à 82,5 ans. Pour les femmes, le Québec se classe au troisième rang parmi les provinces canadiennes, à 84,2 ans. M. Choinière, qui a travaillé pendant plus de 30 ans dans le domaine de la santé des populations, notamment à l’Institut national de santé publique du Québec et à la Direction régionale de santé publique de Montréal, a aussi calculé que parmi les provinces canadiennes, c’est au Québec et en Colombie-Britannique que les gens vivent le plus longtemps en santé. Pour M. Choinière, cela montre que l’état de santé et l’espérance de vie ne dépendent pas seulement du revenu – il souligne que le Québec arrive au dernier rang des provinces et États pour le PIB par habitant.