Des aînés et des personnes handicapées se feront enlever des heures de soins à domicile ou sont privés de services à la suite d'une directive adoptée par le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Nord-de-l'Île-de-Montréal, soutiennent cinq travailleurs sociaux qui y travaillent.

De son côté, le CIUSSS reconnaît avoir demandé à ses employés « de faire un effort additionnel au niveau du nombre d'heures », « d'offrir des services à l'intérieur des limites de leur budget ». Il explique que ses finances sont dans le rouge et que le budget pour offrir du soutien à domicile est en voie d'être « défoncé ».

Plus tôt cet automne, le CIUSSS a constaté qu'il se dirigeait vers un déficit de 15 millions de dollars pour l'année en cours. Il a adopté un plan de retour à l'équilibre budgétaire qui a été déposé au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), comme le prescrit la loi.

« La principale préoccupation du MSSS est de s'assurer qu'il n'y aura aucun impact sur la clientèle », peut-on lire dans le procès-verbal de la réunion du 13 septembre du conseil d'administration du CIUSSS. Le document parle de « mesures d'optimisation », mais il n'en précise pas la nature. Selon la direction du CIUSSS, « le plan d'action ne réduira pas l'accessibilité ni la qualité des services offerts à la clientèle ».

« C'est faux, parce que ce qui se passe touche directement les services à la population », affirme Marjolaine Goudreau, présidente d'un regroupement de travailleurs sociaux, le RÉCIFS. Cinq de ses membres l'ont informée d'une directive de leur employeur visant à réduire des services de soutien à domicile. Ils préfèrent garder l'anonymat par crainte de représailles.

300 HEURES DE SERVICES PAR SEMAINE À SUPPRIMER

Les travailleurs sociaux ont appris le contenu de la directive lors de réunions d'équipe la semaine dernière. Le CIUSSS leur a demandé de supprimer 300 heures de services par semaine. Et toutes les nouvelles demandes de services sont suspendues jusqu'à nouvel ordre. Les personnes se retrouvent sur une liste d'attente.

Ce n'est pas tout. Les aînés qui retournent à la maison après un séjour à l'hôpital devront se contenter de cinq heures de soins à domicile par semaine. Si ces heures s'avèrent insuffisantes, ils seront dirigés vers des résidences privées - des « ressources intermédiaires », selon le jargon du réseau. Le patient doit alors payer un loyer, précise Mme Goudreau.

Le commissaire aux plaintes du CIUSSS a mis le nez dans un dossier. Une patiente a dénoncé le faible nombre d'heures de services à domicile qu'on lui offrait pour revenir à la maison après un séjour à l'hôpital. Le commissaire aux plaintes a obtenu du CIUSSS qu'il revoie à la hausse le nombre d'heures.

« On lui a garanti qu'elle aurait le minimum nécessaire pour retourner à la maison, mais il faut comprendre que le minimum nécessaire ne veut pas dire que ça comble ses besoins. »

- Emely Lefrançois, responsable des communications d'Ex aequo, organisme de défense des personnes handicapées qui a été mis au courant de l'affaire

Selon elle, « au moins trois autres personnes sont toujours hospitalisées à l'hôpital Marie-Clarac à cause de la directive, parce qu'on ne pouvait pas leur offrir les services dont elles ont besoin à domicile ».

« TRAVAILLER DANS LES LIMITES DU BUDGET »

D'après Marjolaine Goudreau, la directive vise à économiser un demi-million de dollars.

Le CIUSSS n'a voulu ni confirmer ni infirmer ces mesures. Il reconnaît néanmoins que ses travailleurs ont été appelés à « travailler dans les limites du budget ».

« On demande aux équipes d'évaluer chaque personne au cas par cas pour s'assurer que les besoins sont là, que les services sont pertinents en fonction des besoins », affirme le porte-parole du CIUSSS, Hugo Larouche. Il « n'est pas en mesure de confirmer » la coupe demandée de 300 heures par semaine.

Pour ce qui est des nouvelles demandes de soins à domicile, « il va sûrement y avoir une augmentation de l'attente parce que notre panier de services est plein ».

« Si on regarde de manière globale, ce n'est clairement pas des coupures : on a eu une augmentation de budget et d'heures de services » pour cette année, ajoute Hugo Larouche. Le CIUSSS a obtenu une enveloppe de 5 millions de dollars pour offrir 60 000 heures par année de plus, « une cible qui sera dépassée ». « Notre volume d'activités en soutien à domicile a augmenté plus rapidement que le budget alloué par le MSSS », selon M. Larouche. « Maintenant, il faut recadrer, et on a rappelé aux équipes de faire un effort additionnel au niveau du nombre d'heures » pour respecter le budget.

Le CIUSSS termina l'année 2018-2019 avec un déficit malgré le plan de redressement.