Stefan Bogdan est mort lorsque le respirateur censé le garder en vie a cessé de fonctionner au moment d'une panne d'électricité majeure qui a frappé Montréal ce matin-là.

L'homme de 27 ans, qui souffrait de dystrophie musculaire, avait besoin d'une assistance respiratoire de tous les instants. Ses parents, chez qui il vivait, s'occupaient de lui 24 heures sur 24.

Sa mère - ingénieure en Roumanie - a même obtenu son diplôme en soins infirmiers au Québec pour pouvoir mieux s'occuper de son enfant malade.

C'est son père qui l'a retrouvé au lit, couché sur le dos, inanimé, le 24 octobre 2017. Il a branché en catastrophe l'appareil à des batteries externes.

Mais il était trop tard. Il avait manqué d'oxygène trop longtemps.

La Presse a obtenu par une demande d'accès à l'information 22 rapports de coroner concernant des décès liés de près ou de loin, depuis 10 ans, avec un appareil médical qui aurait mal fonctionné. De ce nombre, 15 décès étaient en lien avec un appareil respiratoire.

Dans le cas de M. Bogdan, le respirateur nocturne fourni par l'État ne comportait pas de batterie intégrée. En cas de panne de courant, une alarme signale pendant environ une minute la nécessité que des batteries auxiliaires externes soient branchées par une personne.

Or, le volume de cette alarme avait été réduit par un professionnel du Programme national d'assistance ventilatoire à domicile (PNAVD) à la demande des parents, qui jugeaient inutilement trop fort le niveau de l'alarme.

Le coroner ne blâme pas les parents. Au contraire. L'homme de 27 ans - atteint de dystrophie musculaire depuis l'âge de 4 ans - a reçu les soins et l'attention indéfectibles de ses parents toutes ces années, insiste le coroner Louis Normandin.

Durant son enquête, le coroner Normandin a découvert que, dans le secteur ouest de la province, 190 patients comme M. Bogdan, dont 29 enfants, ont un ventilateur sans batterie intégrée, «donc tous potentiellement à risque de connaître, dans les mêmes circonstances, le même sort tragique».

Parmi eux, huit patients ont besoin d'un respirateur durant plus de 16 heures par jour (ils sont donc extrêmement vulnérables lors d'une panne de courant), et cinq patients mériteraient d'avoir deux appareils, mais n'en possèdent qu'un, toujours selon le coroner.

«Devant un tel constat alarmant et potentiellement tragique vécu au quotidien par cette clientèle fragilisée, leurs proches aidants et l'équipe du PNAVD, une évaluation complète et rigoureuse de l'ensemble de la situation au niveau national s'impose», écrit le Dr Normandin dans son rapport d'investigation.

Pour éviter d'autres décès, le coroner recommande au ministère de la Santé, par l'entremise du PNAVD, de fournir un appareil de ventilation muni d'une batterie intégrée à tous les patients qui en ont besoin.

Le PNAVD interpellé

Questionné par La Presse, le ministère de la Santé assure que le PNAVD fournit à la clientèle des «patients ventilés 24h/24» un appareil de type bi-niveau avec batterie intégrée. Toutefois, M. Bogdan ne figurait pas sur la liste des patients ventilés 24 heures sur 24, affirme Noémie Vanheuverzwijn, responsable des relations avec les médias au ministère de la Santé. Et ce, même si le défunt avait pourtant besoin d'une assistance ventilatoire 24h/24, sans quoi il risquait de développer une décompensation respiratoire en cinq minutes, selon le rapport du coroner.

«À la suite de la réception du rapport du coroner et afin de mieux cibler la clientèle susceptible de bénéficier de cet équipement [appareil de type bi-niveau avec batterie intégrée], le MSSS a demandé aux deux fiduciaires nationaux du PNAVD [CUSM et IUCPQ] ainsi qu'à leur équipe médicale de formuler un avis précisant certains paramètres du programmes relatifs à l'attribution et au type d'équipement nécessaire», ajoute Mme Vanheuverzwijn du ministère de la Santé.

Autre décès «évitable»

À Gatineau cette fois, un autre jeune homme souffrant de dystrophie musculaire, Michel Joseph, est mort lorsque l'appareil respiratoire dont il avait besoin d'une manière continue a été débranché accidentellement. «Ce décès était évitable», souligne la coroner Pascale Boulay.

L'homme de 27 ans vivait seul dans un logement adapté. Les soins de santé y étaient fournis par du personnel d'une agence privée de soins infirmiers.

Or, l'enquête policière a révélé que le personnel affecté aux soins de M. Joseph ignorait complètement le fonctionnement de l'appareil et n'avait reçu aucune formation, se référant uniquement au patient pour des instructions.

De plus, il n'y avait aucun rappel des fonctions-clés du fonctionnement de l'appareil à la disposition des préposés dans la chambre de M. Joseph.

La coroner recommande entre autres au PNAVD d'être «proactif» en envoyant des inhalothérapeutes offrir des formations au personnel qui prodigue des soins à domicile aux patients dépendants d'appareils respiratoires.

Les lacunes de formation du personnel soignant ont été soulevées dans plusieurs autres cas dont La Presse a obtenu les rapports d'enquête.

Parmi eux, Mathieu Valade, un homme de 29 ans souffrant de dystrophie musculaire hébergé dans une résidence pour personnes âgées de Longueuil, est mort en 2016 lorsqu'une infirmière auxiliaire lui a installé son masque à oxygène sans mettre en marche la ventilation mécanique.

Infirmières débordées, patient négligé

Hospitalisé à l'hôpital de Saint-Georges, en Beauce, un patient souffrant d'obésité morbide qui avait besoin d'un dispositif nommé Bi-Pap pour respirer est mort car le personnel de son unité de soins a omis d'ouvrir le débitmètre chargé de l'alimenter en oxygène pour la nuit.

Le soir du 8 avril 2017, l'unité de soins où se trouvait Hugues Cloutier était complètement débordée, note le coroner Pierre Guilmette. Il y avait plusieurs urgences médicales simultanées, et le poste des infirmières était déserté pour pouvoir faire face à la situation.

Le patient avait demandé de l'assistance pour repositionner sa lunette nasale. Une infirmière s'est finalement présentée à son chevet pour réinstaller la lunette nasale sans vérifier le bon fonctionnement du débitmètre.

Dans le contexte où le «travail des infirmières dans nos centres hospitaliers est exigeant et parfois ingrat» et que la «complexité des appareillages dédiés aux soins des patients ne va pas en diminuant», le coroner Guilmette recommande que la gestion de la totalité des appareils respiratoires chez les patients oxygéno-dépendants soit confiée aux inhalothérapeutes.

«Faits très troublants»

Dans au moins trois autres décès survenus dans des hôpitaux, l'appareil respiratoire a été débranché accidentellement. «Les faits rapportés sont très troublants», indique le coroner Pierre Bélisle à propos du décès d'un patient de 24 ans survenu à l'hôpital de Verdun en 2011. Ce patient, Jean-Sébastien Brodeur, a manqué d'oxygène en raison du débranchement de l'appareil respiratoire depuis l'embout reliant celui-ci à la source d'oxygène dans le mur. Dans ce cas, la police a exclu une intention criminelle, mais n'a pas pu établir si un membre du personnel a mal fait son travail ou encore si un visiteur ou un employé de l'hôpital a débranché le dispositif par inadvertance.

- Avec la collaboration de William Leclerc