Un psychiatre québécois affirme que ses collègues gagneraient à mieux connaître le droit et à ne pas hésiter à recourir aux tribunaux pour forcer des patients atteints de psychose à être soignés. À quelques mois de la légalisation du cannabis, il rappelle que les psychiatres « ne sont pas impuissants ».

Jean-François de la Sablonnière, chef du service de psychiatrie au CISSS du Bas-Saint-Laurent, est « toujours très, très irrité » lorsqu'il lit ces histoires de « familles désespérées, découragées, tombées dans la "porte tournante" ». « Elles ont emmené leur parent visiblement psychotique, avec un problème de consommation, et se sont heurtées à l'impuissance du système médical. »

La Presse a raconté il y a une dizaine de jours l'histoire de cette mère démunie devant la dégradation de la santé mentale de son fils, un jeune adulte consommateur de cannabis. Le jeune homme souffrait d'une psychose induite par le pot, selon la mère qui cite une évaluation psychiatrique.

Il refusait de se faire soigner. Malgré une tentative de suicide et un événement violent, les médecins n'ont pas réussi à obliger le jeune homme à subir des traitements à long terme, toujours selon ce qu'a raconté sa mère.

« Ça fait des années qu'on entend ça. On a même vu à un moment donné le docteur Gilles Chamberland dire à Tout le monde en parle à quel point les médecins sont impuissants. Mais ce n'est pas vrai. Il y a un problème qui appartient à l'organisation du système », explique le Dr de la Sablonnière, qui a contacté La Presse pour intervenir dans ce dossier.

Ce genre de situation est appelé à toucher encore plus de familles avec la légalisation du cannabis. « Les études démontrent que le risque de développer une psychose augmente de 40 % chez ceux qui ont consommé du cannabis au moins une fois dans leur vie », prévient l'Association des médecins psychiatres du Québec (AMPQ).

Jean-François de la Sablonnière et ses collègues ont souvent fait face à des cas similaires. Les psychiatres du Bas-Saint-Laurent ont donc décidé de mettre en place un système pour éviter la « porte tournante », cette situation où les patients refont surface dans les services de psychiatrie au gré de leurs épisodes psychotiques, sans jamais être traités véritablement.

« On dirait que si le patient refuse le traitement, alors pour certains médecins, c'est comme si le mandat s'arrêtait là. Et personne n'est imputable de rien. Ça contribue au sentiment d'impuissance et à la porte tournante. »

- Jean-François de la Sablonnière, chef du service de psychiatrie au CISSS du Bas-Saint-Laurent

Au CISSS du Bas-Saint-Laurent, les médecins ont l'obligation de rapporter un refus de traitement au chef de service, c'est-à-dire le Dr de la Sablonnière. Un suivi est alors mis en place. Le patient est rencontré, sa famille peut l'être aussi. Si les professionnels estiment que le patient est malade, ils vont tenter de le convaincre d'accepter les soins. Si ça ne marche pas, ils peuvent avoir recours aux tribunaux.

La dangerosité, pas obligatoire

Trop de médecins ignorent la voie juridique pour forcer un patient à subir une évaluation psychiatrique et à se faire soigner, estime le Dr de la Sablonnière. Plusieurs citent le critère de « dangerosité », qu'ils doivent prouver. « Les médecins s'arrêtent à ça : à l'urgence, il n'est pas dangereux, je ne peux pas le garder, alors je ne peux rien faire », dit-il.

Mais si la dangerosité doit être prouvée pour obtenir une ordonnance de garde en établissement - forcer un patient à rester à l'hôpital -, elle ne l'est pas pour obtenir une autorisation de traitement et forcer le patient à prendre ses médicaments. Dans ce cas, il faut plutôt prouver que le patient est inapte à consentir aux traitements.

Au CISSS du Bas-Saint-Laurent, une quarantaine de patients sont sous ordonnance de traitement. Le Dr de la Sablonnière n'hésite pas à recourir aux tribunaux. L'organisme cherche d'ailleurs à embaucher, pour la première fois, un avocat spécialisé en santé mentale qui va entrer en poste dès octobre.

Le Dr de la Sablonnière juge que les médecins et les organismes de santé devraient mieux connaître les critères du droit et davantage utiliser les tribunaux pour que des cas comme celui rapporté dans La Presse puissent être évités.

Mais cette approche a aussi ses détracteurs. Le Collectif Autonomie défend le droit des patients à refuser des traitements. Le porte-parole de l'organisme s'inquiète du recours de plus en plus fréquent aux tribunaux pour obtenir des ordonnances et forcer des malades à rester à l'hôpital ou à prendre des médicaments.

« On est en train de faire une recherche là-dessus et on constate que le nombre de demandes d'ordonnance pour garde en établissement a doublé en 20 ans à Montréal, explique Jean-François Plouffe. Les autorisations judiciaires de soins, elles, ont doublé en seulement 10 ans. »

Il estime que les patients sont souvent mal outillés pour faire valoir leur droit devant les tribunaux. Il croit que les juges ont tendance à prendre à la légère le fardeau pour prouver l'inaptitude d'un patient à refuser les soins.

« Le droit de collaborer ou non à son traitement est reconnu par la loi. Une personne peut refuser un traitement même si la conséquence du refus est une dégradation de son état de santé, et même son propre décès. Le cas de témoins de Jéhovah qui refusent les transfusions sanguines est le cas le plus connu. »

- Jean-François Plouffe, porte-parole du Collectif Autonomie

« La différence entre les témoins de Jéhovah et les personnes qui ont des problèmes de santé mentale, c'est que les témoins de Jéhovah sont organisés, ont des ressources et des avocats », croit-il.

Jean-François Plouffe affirme que plusieurs patients refusent de prendre des médicaments car leurs effets secondaires sont pires que les effets de la maladie.

« On est tout à fait conscients que des gens vont dire qu'on brime la liberté des gens en les traitant de force », répond le Dr de la Sablonnière.

« Mais traiter un malade qui n'est pas conscient qu'il est malade parce que sa maladie l'empêche d'être conscient qu'il est malade, pour nous, c'est juste du gros bon sens. C'est de la bienveillance. »

PHOTO FRANÇOIS DROUIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Jean-François de la Sablonnière, chef du service de psychiatrie au CISSS du Bas-Saint-Laurent