Depuis la fermeture de la Résidence Yellen, il y a un an, Guylaine Cloutier a ramené son fils Alexandre, lourdement handicapé, à la maison. Avant ce qu'elle appelle la « fermeture sauvage » de ce centre d'hébergement des Laurentides, elle bénéficiait du service de répit aux proches aidants en y laissant son fils de 29 ans du lundi au jeudi. « Il aimait ça, il avait plein d'amis comme lui, c'était comme une petite famille », dit-elle. De retour chez sa mère, son fils « n'est plus intéressé à rien ».

Alexandre est atteint d'une maladie orpheline qui l'empêche de marcher, de parler et même de respirer par lui-même.

Au CHSLD où il avait d'abord été transféré pour les jours de répit, « c'était l'enfer », dit Guylaine Cloutier. Il n'avait pas l'attention ou les soins dont il a besoin. « Je l'ai ramené chez moi. »

Aujourd'hui, la vie du fils de Mme Cloutier est « brisée ». Quant à elle, il lui faut maintenant s'occuper seule d'Alexandre 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, explique-t-elle. « Je suis rendue en prison, lâche-t-elle, émotive. Ce n'est pas facile. »

Un an après la fermeture du centre d'hébergement pour personnes lourdement handicapées, des familles sonnent l'alarme : les conditions de vie de certains des ex-résidants se sont détériorées depuis leur déménagement, faute de soins adaptés. Un rapport du Protecteur du citoyen publié en mars dernier attribue principalement au centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) des Laurentides la responsabilité des événements ayant mené à la fermeture de la résidence.

Au mois de juillet 2017, on a annoncé à 14 familles que leurs proches, des utilisateurs de la Résidence Yellen, seraient déménagés d'urgence dans d'autres établissements. Avec trois jours de préavis, le CISSS des Laurentides a invoqué un risque pour la sécurité des résidants à la suite d'une mésentente entre les administrateurs du centre d'hébergement et les a immédiatement contraints à mettre la clé sous la porte.

La majorité des résidants arrivaient à la Résidence Yellen du Pavillon Sainte-Marie, un centre spécialisé vétuste que le CISSS a fermé en 2016. Le rapport d'enquête du Protecteur du citoyen impute au CISSS des Laurentides d'avoir « nettement sous-estimé les impacts humains et psychologiques » des deux relogements en l'espace de 18 mois.

« Maxime a eu des réactions terribles, témoigne Yves Jacob à propos de son fils, qui est un ancien résidant de la Résidence Yellen. Tout ça l'a terriblement affecté, et nous [ses parents] aussi. »

Parmi les 14 familles des anciens résidants du centre d'hébergement Yellen, 4 se sont confiées à La Presse.

Toutes ont affirmé que certains des soins adaptés nécessaires en raison des handicaps de leurs proches ne peuvent pas leur être offerts là où ils habitent maintenant, alors que c'était le cas à la Résidence Yellen. Certains se sont retrouvés dans des résidences pour aînés, d'autres, dans des centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD) ou des hôpitaux.

« Il n'aime pas ça »

Les parents de Maxime Jacob, 37 ans, le ramènent chaque semaine à la maison pendant trois jours pour s'occuper de lui et passer du temps en famille. Depuis qu'il a déménagé dans une résidence pour aînés de Lachute l'an dernier, tous les mercredis, au moment de repartir, Maxime est pris d'une crise. Parce qu'il ne veut pas y retourner.

« Ce n'est pas parce qu'il est maltraité. C'est qu'il sait qu'il ne se passe rien là-bas. Il n'aime pas ça », explique Yves Jacob.

À son nouveau centre d'hébergement, « il mange, il regarde la télévision, il dort, et c'est tout ce qu'il fait », explique Yves Jacob. À la Résidence Yellen et au Pavillon Sainte-Marie où il résidait avant, on lui faisait prendre l'air, il était stimulé et entouré, souligne M. Jacob, qui confie que sa femme et lui ressentent de l'impuissance et une grande détresse par rapport à cette situation. « Ça nous crève le coeur », dit-il.

« Pas à sa place »

L'histoire des Jacob ressemble à celle de Monique Roch et de son fils, Yann. Le handicap de ce dernier le rend inapte à faire quoi que ce soit de lui-même. Ses émotions, il les transmet « dans ses yeux », explique Mme Roch. À la fermeture de la Résidence Yellen, on a amené son fils au CHSLD de Saint-Jérôme, où il réside depuis. « Yann n'est pas à sa place », affirme Monique Roch qui, comme tous les autres, déplore que son fils n'ait pas accès à des soins adaptés.

Pour Benoît Champagne, atteint du syndrome de Sturge-Weber, qui lui cause une déficience intellectuelle, cette nouvelle situation s'est même révélée dangereuse à quelques occasions.

À l'hôpital de Rivière-Rouge, où il vit depuis un an, d'autres résidants de son unité sont atteints de troubles qui peuvent les rendre violents. « Benoît s'est fait attaquer à plusieurs reprises », raconte sa soeur, Josée-Lise Champagne, qui affirme que sa famille se sent laissée à elle-même.

« Ce n'est pas que les gens là-bas ne sont pas compétents, mais ils ne sont pas habitués à travailler avec ce genre de clientèle. Je ne leur en veux pas à eux, c'est le système qui est mal fait. »

Une porte-parole du CISSS des Laurentides, Myriam Sabourin, affirme que le CISSS procède à une évaluation hebdomadaire des anciens utilisateurs de la Résidence Yellen et assure que « les 14 reçoivent les services auxquels ils ont droit ». Le CISSS dit même avoir noté des améliorations chez certains utilisateurs, notamment dans leur alimentation et leur participation aux activités.

Mme Sabourin a également indiqué à La Presse que le CISSS avait créé un plan d'action à la suite des recommandations du Protecteur du citoyen. Elle assure qu'aucune plainte n'a été déposée par les proches des anciens résidants de la Résidence Yellen par rapport aux services que ces derniers reçoivent actuellement. « On les invite à mentionner les problèmes ou à porter plainte », a-t-elle ajouté.

PROBLÈMES FINANCIERS

À l'époque du déménagement, La Presse avait rapporté que plusieurs familles dénonçaient avec vigueur une décision « cruelle » du CISSS.

Selon le rapport du Protecteur du citoyen, une grande partie de l'immeuble de la Résidence Yellen n'était pas prête à l'arrivée des utilisateurs en 2016. Les coûts pour sa réfection rapide ont dépassé le financement initialement prévu, sans que le CISSS ou les propriétaires soient en mesure d'acquitter des frais supplémentaires.

L'ancien propriétaire de la Résidence Yellen, Paul Yellen, a d'ailleurs affirmé à La Presse que ce sont les problèmes financiers qui ont décidé le CISSS à fermer l'établissement, d'après lui.

Sachant depuis plusieurs années que la fin de la vie utile du Pavillon Sainte-Marie approchait, le CISSS aurait dû mieux prévoir le déménagement vers la Résidence Yellen, peut-on lire dans le rapport d'enquête. Certaines décisions du CISSS quant à la planification administrative et financière ont « grandement nui au déploiement du projet », qui a finalement avorté, conclut le Protecteur du citoyen.

Photo Edouard Plante-Fréchette, archives La Presse

Paul Yellen, ancien propriétaire de la Résidence Yellen

Photo Edouard Plante-Fréchette, archives La Presse

« Maxime a eu des réactions terribles » après son relogement, témoigne Yves Jacob à propos de son fils, qui est un ancien usager de la Résidence Yellen.