Ce n'est pas parce que vous avez inscrit vos « dernières volontés » au nouveau Registre des directives médicales anticipées qu'elles seront consultées par l'établissement de santé où vous vous retrouverez en fin de vie.

Et ce, même si les hôpitaux, les CHSLD et les maisons de soins palliatifs ont l'obligation légale de le faire.

En fait, tout dépend de la région du Québec dans laquelle vous habitez, révèlent des données du ministère de la Santé et des Services sociaux obtenues par La Presse.

Un patient hospitalisé à Montréal a beaucoup moins de chances de voir ses directives médicales anticipées (DMA) consultées qu'un autre qui se trouve en Estrie, si l'on se fie aux statistiques transmises en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

« Ces disparités régionales sont très préoccupantes », affirme Me Christine Morin, professeure titulaire de la Chaire de recherche Antoine-Turmel sur la protection juridique des aînés de l'Université Laval.

Pourtant, tous les médecins de la province sont soumis aux mêmes obligations de consultation. 

« La loi est claire. Lorsque la personne n'est pas apte à consentir, la première chose à faire, c'est de vérifier si elle a des directives médicales anticipées. » - Me Christine Morin

Le Registre des DMA - mis en place il y a deux ans maintenant - permet d'indiquer si l'on veut recevoir des traitements ou non avant de devenir inapte (état comateux irréversible ou état de démence grave sans possibilité d'amélioration).

Ces traitements sont la réanimation cardiorespiratoire, la ventilation assistée, la dialyse ainsi que l'alimentation et l'hydratation forcées ou artificielles.

Certaines DMA peuvent mener à la survie ou à la mort du patient, rappelle Me Morin, d'où l'importance de les consulter.

Près de 30 000 personnes se sont inscrites au Registre depuis sa mise en place, le 15 juin 2016. En deux ans, il a été consulté 5950 fois par 1744 utilisateurs du réseau de la santé. Il est accessible en tout temps et est conservé par la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ).

PEU CONSULTÉ DANS LES GRANDS HÔPITAUX

Le Registre des DMA est aussi très peu consulté dans les grands hôpitaux comme le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) et le Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM), toujours selon les données que nous avons obtenues.

Le CUSM est conscient du problème et l'attribue à des difficultés informatiques, selon sa porte-parole Gilda Salomone. Dès 2016, une note a été envoyée en interne, dit-elle, pour expliquer le rôle du Registre, sa valeur contraignante, et dresser la liste des personnes autorisées à y avoir accès. Or, l'hyperlien contenu dans le message - en raison de « mesures accrues de sécurité » dans le logiciel de messagerie électronique du CUSM - ne fonctionnait pas. Le CUSM vient de migrer vers un autre logiciel de messagerie, ce qui devrait régler le problème d'accès à l'hyperlien, affirme la porte-parole de l'établissement de santé montréalais.

Le CHUM admet lui aussi ne pas s'être conformé à la nouvelle loi, deux ans après son entrée en vigueur. « Au cours des dernières années, la priorité du CHUM a été la construction et l'activation du nouvel hôpital, de même que la préparation des équipes au déménagement, a indiqué à La Presse la conseillère en communication du CHUM Lucie Dufresne. Aujourd'hui, la direction des affaires médicales et académiques du CHUM a pour mandat de développer dans les meilleurs délais l'accès au Registre des directives médicales anticipées dans notre hôpital. »

Les travaux nécessaires (mise en place de la structure d'accès, formation, création des accès, signature des formulaires de confidentialité, etc.) débuteront concrètement au CHUM au retour des vacances estivales et s'échelonneront sur une période de quelques mois, précise Mme Dufresne.

DES RÉGIONS INACTIVES

Des disparités régionales ont été observées dès la première année d'existence du Registre, souligne Me Morin, qui a publié - avec la collaboration d'un étudiant en droit - une analyse de la situation dans un magazine spécialisé destiné aux notaires.

Or, la situation ne s'est pas améliorée durant la deuxième année. « On constate, après deux ans, qu'il y a de plus en plus de gens qui font des DMA, mais il y a encore des endroits où elles sont peu ou pas consultées, constate Me Morin. Or, après deux ans, ça devrait être fonctionnel partout et le personnel soignant devrait savoir comment les consulter. »

Les CISSS des Laurentides, de l'Outaouais et de l'Abitibi-Témiscamingue sont parmi les cancres.

« Depuis 2016, nous avons formé plus de 400 personnes sur l'utilisation de ce registre, mais l'adoption de ce nouvel outil reste néanmoins à consolider, affirme la conseillère-cadre au CISSS des Laurentides, Myriam Sabourin. Nous préparons d'ailleurs différentes communications auprès des médecins et du personnel afin de les inciter à utiliser davantage ce registre. »

Le CISSS des Laurentides tient à souligner que ses équipes médicales et soignantes s'informent auprès des usagers ou de leurs proches de leurs dernières volontés.

Or, cette façon de faire - qui était la pratique courante avant l'instauration du Registre - pose une « grande difficulté » au personnel soignant, affirme pour sa part Me Christine Morin.

« Le personnel se retrouve alors trop souvent au coeur des conflits au sein de la famille de la personne inapte, explique la professeure de l'Université Laval. Tout le monde n'est pas d'accord avec la décision qui est prise. Un proche va dire : "Non, ce n'est pas ça qu'il aurait voulu." Un autre va répondre : "Tu ne le savais pas, mais il avait changé d'idée sur telle ou telle chose récemment", etc. »

Les directives médicales anticipées viennent « régler » cette difficulté, souligne Me Morin. « Avec les DMA, c'est la personne concernée qui, à l'avance, accepte ou refuse cinq soins très précis. Si elle a coché oui, c'est elle qui "parle" au personnel soignant à travers le formulaire - et non un intermédiaire - alors qu'elle ne peut plus le faire de vive voix. »

LE MINISTÈRE AU FAIT DU PROBLÈME

Le ministère de la Santé et des Services sociaux est « au fait des disparités » et « travaille actuellement à déployer des actions afin de sensibiliser les professionnels de la santé aux DMA et à l'importance de consulter le Registre », selon la porte-parole du Ministère Noémie Vanheuverzwijn.

« À la lumière des informations que nous possédons, on ne peut établir de lien entre le nombre de consultations du Registre par les professionnels et le respect des DMA d'une personne, soutient Mme Vanheuverzwijn. Plusieurs facteurs propres à la nature de chaque établissement et à la région font en sorte que la consultation du Registre est plus pertinente (par exemple la mission de l'établissement, la clientèle desservie, l'offre de service de l'établissement, etc.). »

À PROPOS DU REGISTRE

Le Registre des directives médicales anticipées (DMA) a fait beaucoup moins parler de lui que l'aide médicale à mourir, mais tous deux ont été instaurés en même temps en vertu de la Loi concernant les soins de fin de vie, il y a deux ans. Le Registre est une base de données dans laquelle sont déposés les formulaires remplis par les citoyens ainsi que les actes notariés qui ont été envoyés à la RAMQ. Le registre est accessible aux professionnels de la santé et leur permet de connaître les volontés relatives aux soins des patients. « Déposer votre formulaire ou votre acte notarié dans le Registre des directives médicales anticipées est l'option la plus sûre et la plus rapide pour garantir que vos volontés seront accessibles et respectées en cas d'inaptitude à consentir à des soins », écrit le ministère de la Santé et des Services sociaux sur son site internet.

D'ici à ce que le système devienne efficace, avertissez vos proches et votre médecin de famille que vous avez enregistré des DMA afin que, si la situation se présente et que personne n'a le réflexe de vérifier, au moins une personne de l'entourage du patient puisse dire au personnel soignant d'aller consulter le Registre, recommande pour sa part Me Christine Morin. Les DMA ont préséance sur un mandat de protection (nouveau nom du mandat d'inaptitude).

- Avec William Leclerc, La Presse