Céline Charbonneau sait ce que c'est avoir mal.

Pendant une dizaine d'années, celle qui est devenue présidente de l'Association québécoise de la douleur chronique (AQDC) a vécu avec d'importantes douleurs aux jambes, à la suite d'une opération devant corriger une malformation de naissance, qui n'a pas réussi.

Pendant cette période, Mme Charbonneau a eu recours aux opioïdes, dont des timbres de Duragésic. «C'est l'équivalent du fentanyl», note-t-elle. Elle a cessé d'en prendre vers 2010, à la suite d'une période de sevrage qui a duré «autour de six à huit mois».

Mme Charbonneau affirme n'avoir jamais senti de jugement lorsqu'elle mentionnait devoir prendre des opioïdes pour soulager sa douleur.

«Mais on était dans les années 2000, il n'y avait pas de crise d'opiacés. Si j'avais vécu ça dans les années 2010, je suis convaincue que le regard aurait été bien différent», croit-elle.

Il semble en effet que la couverture de la «crise des opioïdes» dans les médias donne une très mauvaise image des personnes qui prennent de tels médicaments pour soulager leur douleur chronique, selon des participants à une étude menée récemment sur les impacts de la crise.

Un sondage mené entre janvier et avril derniers auprès de 1404 patients venant majoritairement du Québec, mais aussi de la Colombie-Britannique, s'est intéressé à leurs opinions et leurs inquiétudes face aux opioïdes, de même qu'aux difficultés d'accès à un traitement à base de ces médicaments.

En comparant un échantillonnage de répondants comparable pour les deux provinces, l'étude a pu constater que les patients québécois semblent craindre davantage les opioïdes que leurs semblables de la province la plus à l'ouest. Au Québec, on dénombre ainsi 20 % des utilisateurs actuels d'opioïdes qui craignent de devenir des «drogués», contre seulement 7 % en Colombie-Britannique.

Les participants des deux provinces s'entendent toutefois pour dire que la couverture médiatique de la crise des opioïdes donne une mauvaise image de ceux qui utilisent ces médicaments pour soulager leur douleur chronique.

Beaucoup de préjugés

«On peut penser qu'il y a eu un impact sur les patients en termes de stigmatisation. Les patients qui souffrent de douleur chronique font (déjà) l'objet de beaucoup de préjugés (...), et là, d'ajouter le fait qu'en plus ce sont des »drogués«, ce n'est pas pour aider leur condition», souligne la chercheuse Manon Choinière, du Centre de recherche du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CRCHUM).

«Autant au Québec qu'en Colombie-Britannique, on avait un patient sur cinq qui s'inquiétait de ce que leur entourage pense de leur utilisation d'opioïdes.»

Céline Charbonneau raconte que c'est aujourd'hui qu'elle doit expliquer sa consommation passée. «Il faut que j'explique pourquoi ça a été comme ça et pourquoi ça a été bénéfique dans mon cas.»

Pour Vincent Raymond, un professeur de l'Université Laval de 62 ans qui souffre de douleurs au dos depuis qu'il a subi un accident de vélo de montagne en 2001, les opioïdes lui ont sauvé la vie.

Il a commencé à prendre de l'oxycodone le 22 juin 2003 - il n'oubliera jamais la date - et en a consommé jusqu'en 2017. Depuis février 2018, il prend de la méthadone pour le traitement de sa douleur, une dose cinq fois moins élevée que celle de l'oxycodone qu'il consommait précédemment.

Sans le médicament, il ne peut dormir et doit se lever aux 90 minutes pour marcher.

«La stigmatisation a augmenté. Depuis, je dirais, deux ou trois ans, on se fait faire la morale plus souvent, soit par les professionnels autour de nous ou par les amis», reconnaît-il.

«Vous passez pour un toxicomane. Depuis que je dis que je prends de la méthadone, c'est classique. Ils pensent que je prenais de l'héroïne jusqu'à il y a deux ou trois mois, ce qui n'est pas le cas.»

La chercheuse Manon Choinière, Céline Charbonneau et Vincent Raymond sont tous d'accord: les professionnels de la santé doivent être mieux informés au sujet de la douleur chronique et des traitements possibles. Et si les opioïdes représentent le dernier recours, ils peuvent tout de même être bénéfiques chez certains patients, estiment-ils.

«Il n'y a pas seulement ça comme traitement, c'est le dernier recours. Il faut qu'il y ait de la physiothérapie, peut-être diminuer le poids s'il y a un surpoids, s'entraîner..., énumère M. Raymond. Mais éventuellement, il y a des gens qui doivent être orientés vers ces thérapies, et elles doivent être suivies de façon proche.»

Cesser contre leur gré

L'étude indique par ailleurs que 26 % des patients de la Colombie-Britannique et 14 % de ceux du Québec se sont vu proposer par leur médecin de cesser la prise d'opioïde.

Parmi ceux qui ont vu leur prescription cesser au cours des 12 derniers mois, 19 % des patients de Colombie-Britannique et 5 % de ceux du Québec n'étaient pas d'accord avec cette interruption.

«Si on cesse les opioïdes chez certains patients qui peuvent en bénéficier, ça peut avoir la conséquence néfaste que les patients vont aller chercher leurs opioïdes ailleurs. Ils vont en demander à leurs amis, à leur famille ou encore vont en acheter sur la rue ou sur internet. Dans notre sondage, on dit qu'on avait à peu près un patient sur 10, autant au Québec qu'en Colombie-Britannique qui disaient aller chercher leur médicament ailleurs (que chez leur médecin traitant), incluant aller voir auprès d'un autre médecin», souligne Mme Choinière.

Le Québec est la province canadienne où il se prescrit le moins d'opioïdes en termes de dosage, note le rapport, qui s'appuie sur des chiffres de l'Institut canadien d'information sur la santé.