Deux enfants sont morts à moins d'un mois d'intervalle au CHU Sainte-Justine à la suite d'erreurs commises par des infirmières lors d'une « manoeuvre de routine », soit l'injection de potassium aux patients.

Ces deux événements tragiques survenus à l'automne 2016 mettent en lumière les « dangers associés à la manipulation du potassium et [...] la nécessité d'adopter des pratiques sécuritaires encadrant la manipulation du potassium » dans tout le réseau de la santé québécois, conclut le coroner Jacques Ramsay, qui s'est penché sur les deux cas et dont les rapports ont été rendus publics lundi.

Bien que tout incident du genre soit de trop, ce sont les deux seuls cas impliquant l'administration de potassium à un patient recensés ces 10 dernières années au CHU Sainte-Justine, a fait valoir le directeur des soins professionnels de l'hôpital pédiatrique montréalais, le docteur Marc Girard, en entrevue avec La Presse.

Un bébé de 3 mois est mort le 18 novembre 2016 après qu'une infirmière lui eut injecté une trop grande quantité de potassium dans une solution intraveineuse.

Puis, trois semaines plus tard, un enfant de 23 mois a perdu la vie au même hôpital après qu'une infirmière lui eut injecté du potassium plutôt que la solution saline prévue pour le rinçage de la veine.

« On ne le dira jamais assez, l'erreur est humaine », rappelle le coroner.

Dans le cas de l'enfant de 23 mois, « au final, et malgré que la cause n'ait pu être établie avec certitude », il semble que « la seule cause plausible » soit que l'infirmière ait injecté du potassium plutôt que la solution saline prévue pour le rinçage de la veine du petit patient.

Atteint d'un cancer, le petit Ghali Chorfi était hospitalisé depuis 12 jours après avoir subi une greffe de moelle osseuse. Or, il prenait du mieux. Il avait « répondu au traitement » et son évolution semblait favorable, note le coroner.

À 14 h ce jour-là, l'enfant reçoit un médicament pour prévenir les ulcères d'estomac par voie intraveineuse tel que prescrit. Après l'injection, on procède, comme la règle de soin le veut, au rinçage de la veine avec 10 ml d'une solution saline.

Toutefois, « selon le scénario le plus plausible, au lieu d'utiliser le salin, l'infirmière aurait plutôt utilisé par inadvertance du phosphate dipotassique (potassium) », explique le coroner.

L'enfant fait alors un premier arrêt cardiaque et est réanimé. Transféré aux soins intensifs, il meurt quelques heures plus tard dans les bras de sa mère.

Le potassium et le salin proviennent de fioles similaires, mais qui présentent certaines différences (capuchons avec couleurs différentes, verre plutôt que plastique). « Une infirmière distraite - peut-être dérangée durant la préparation - pourrait quand même avoir rempli sa seringue avec la mauvaise fiole », écrit le coroner.

DIX FOIS LA DOSE PRESCRITE

Les circonstances ayant mené à la mort du bébé de 3 mois - la petite Kaylynn Mianscum-Kelly - sont différentes, même si sa mort a aussi été causée par une injection de potassium.

Transféré d'urgence de Val-d'Or au CHU Sainte-Justine à sa naissance en août 2016, le bébé atteint de trisomie 21 souffrait de problèmes cardiaques. L'enfant ne quittera jamais le centre hospitalier, où elle mourra trois mois plus tard.

Le 17 novembre, alors que le bébé vomit et est pris de diarrhées, le résident de garde suggère un soluté intraveineux pour le réhydrater.

Selon la prescription faite oralement par le médecin, l'infirmière doit ajouter du potassium dans un soluté. Or, lors de la préparation du soluté à l'étage où est hospitalisé le bébé, l'infirmière fait une « banale erreur d'unités », retient le coroner, erreur « évitable » qui s'avère fatale.

L'infirmière ajoute 10 fois plus de chlorure de potassium que ce qui avait été prescrit. Après avoir reçu cette dose beaucoup trop forte, le bébé tombe en arrêt cardiorespiratoire. Le nourrisson sera réanimé, mais mourra le lendemain sans jamais avoir repris connaissance.

L'erreur s'explique, selon le coroner, par le fait que les infirmières utilisent généralement des solutés préparés de façon commerciale ou préparés par la pharmacie de l'établissement. Elles ne sont plus habituées à préparer elles-mêmes les doses.

« L'infirmière a donc perdu ses références, et le geste d'ajouter du potassium, autrefois de routine, est devenu désormais peu familier », précise M. Ramsay. « Le risque d'erreur est augmenté parce que le personnel cherche à faire vite », ajoute-t-il.

SAINTE-JUSTINE RÉAGIT

« Ces deux décès ont amené nos équipes à revoir tout le circuit du médicament - de la prescription à son administration - afin de voir où on pouvait augmenter les mécanismes de contrôle pour éviter d'autres cas comme ceux-là, explique le Dr Marc Girard du CHU Sainte-Justine. Des mesures de contrôle étaient déjà en place mais nous en avons ajouté. »

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LES RECOMMANDATIONS DU CORONER JACQUES RAMSAY

Au CHU Sainte-Justine : 

• de faire le suivi des principaux changements apportés dans la foulée de son analyse interne réalisée après les incidents et d'en informer le Bureau du coroner ;

• de concrétiser son intention de sensibiliser les autres hôpitaux aux dangers associés à la manipulation du potassium et à la nécessité d'adopter des pratiques sûres encadrant la manipulation du potassium.

Au ministère de la Santé et des Services sociaux : 



• de faire connaître à tous les CIUSSS et CISSS « sa grande préoccupation par rapport à ce décès [celui de Ghali Chorfi] et aux dangers de récurrence qui existent actuellement dans le réseau ».