L'idée est dans l'air, si on en croit un article publié mardi dans le New York Times sur les dessous de la renégociation de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). On y apprend que le United States Trade Representative, qui défend les intérêts américains, voudrait s'assurer, au nom de la liberté de commerce, que les États signataires ne puissent pas identifier des aliments riches en gras, en sucre ou en sel par un logo. Or, c'est exactement ce que s'apprête à faire Santé Canada.

« En général, les traités économiques s'assurent que ces mesures ne sont pas des barrières au commerce », explique l'avocat torontois Peter Glossup, d'Olsen, spécialiste du droit de la concurrence. Ce n'est donc pas surprenant que ce sujet soit discuté autour de la table de négociation. L'article 712, précise-t-il, précise justement que les mesures sanitaires doivent être soutenues par des données probantes et qu'il ne doit pas y avoir de discrimination entre produits. Ces principes pourraient être débattus entre les négociateurs, dans le cas des étiquettes de Santé Canada, et on risque de se référer à ce qui se fait ailleurs dans le monde. 

Cela dit, explique Peter Glossup, il est peu probable que l'affichage nutritionnel pèse lourd dans les discussions du renouvellement de l'ALENA.

« Dans les accords de commerce, il y a des clauses de "bonnes moeurs" où les États se réservent le droit d'intervenir dans des domaines comme la santé, explique Mathieu Arès, de l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke. Ce serait étonnant que ça [la demande américaine] aille très loin. » 

« Le meilleur exemple est la publicité pour les enfants. Elle est interdite au Québec et permise aux États-Unis. »

- Mathieu Arès, de l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke

Ça serait d'autant plus étonnant, explique l'avocat Bernard Colas, que Santé Canada vient d'annoncer ses intentions en grande pompe. Si l'accord annulait la portée de la mesure de santé publique canadienne, le gouvernement ferait preuve d'une certaine incohérence, dit ce spécialiste du droit des affaires et du commerce international.

OPPOSITION DES GÉANTS DE L'INDUSTRIE ALIMENTAIRE

Cela dit, un accord commercial peut tout à fait prévoir ce genre de clause. « Si un traité dit que tu ne peux pas mettre des têtes de mort [sur un produit], tu ne peux pas le faire », précise Bernard Colas qui précise au passage que les entreprises impliquées ont certainement les moyens de se payer les services de lobbyistes efficaces. 

C'est exactement ce que fait l'industrie alimentaire américaine, explique le New York Times. L'Association des fabricants de produits d'épicerie, qui représente des géants tels PepsiCo, Kellogg et Kraft, n'est pas favorable à ce que l'on affiche un logo sur le devant des emballages de certains de ses produits avertissant les consommateurs qu'ils contiennent trop de gras saturés, trop de sel, trop de sucre... ou les trois ! La pression de l'industrie alimentaire n'a rien de surprenant : les groupes d'industriels qui représentent les mêmes multinationales de ce côté-ci de la frontière avaient également fait connaître leur opposition au nouveau règlement de Santé Canada.

À la fin 2016, le Ministère fédéral avait annoncé son intention d'imposer un « affichage devant le paquet », aux aliments dont une portion contient plus de 15 % de la valeur quotidienne recommandée de ces indésirables, sel, sucre et gras saturés. Les logos proposés sont actuellement à l'étude. Les fabricants alimentaires auront cinq ans pour s'adapter, et peut-être changer la recette de certains de leurs produits, avant que l'affichage du logo choisi soit obligatoire.

- Avec Charles Côté, La Presse