D'une même voix, Diane Francoeur et Lucien Bouchard lancent un appel aux Québécois pour reconstruire le lien de confiance brisé au terme du débat sur la rémunération des médecins spécialistes qui dure depuis des semaines.

Le tandem Francoeur-Bouchard a souligné à maintes reprises, hier, que les négociations avaient été complexes et mal comprises dans la population. Il s'agissait de leur première sortie publique depuis l'annonce de l'entente de principe entre les médecins spécialistes et le gouvernement, le 9 février dernier.

La priorité de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) a toujours été d'améliorer les conditions de pratique des médecins, dans le but d'avoir un effet « direct et positif » sur les soins aux patients, a expliqué sa présidente, la Dre Francoeur.

La Dre Francoeur a déploré les « attaques acerbes » dont ont été victimes ses membres ces derniers temps.

« Le lien de confiance semble s'effriter. [...] Ce lien de confiance est précieux pour nous et pour vous. Il ne doit jamais être remis en question, peu importe », a dit la Dre Diane Francoeur.

« Les médecins spécialistes du Québec sont des professionnels compétents, intègres, formés selon les plus hauts standards nord-américains et qui se dévouent pour prodiguer les meilleurs soins à leurs patients », a poursuivi la Dre Francoeur.

La Dre Francoeur - qui avait accusé les médias d'écrire des « fake news » avant de s'excuser - a décoché au passage une flèche au Conseil du trésor.

« Il s'est dit et écrit beaucoup de choses depuis l'annonce de notre entente de principe avec le gouvernement, le 9 février dernier, a dit d'entrée de jeu la Dre Francoeur. Le Conseil du trésor a ensuite tenté d'expliquer l'entente, mais sa présentation n'a pas permis de clarifier la situation ni auprès des journalistes ni auprès de la population. »

« Cette entente n'est pas simple à comprendre », concède-t-elle. Ainsi, ce n'est pas un chèque de 50 000 $ que chaque médecin spécialiste recevra en moyenne ces prochains mois, comme ce qui avait circulé au départ, mais bien de 25 000 $. Ce chèque est versé pour combler la partie rétroactive de l'entente débutant le 1er avril 2017. La somme correspond à une hausse de 5,2 % de leur rémunération (250 millions répartis entre les 10 000 médecins spécialistes), a expliqué pour sa part Me Sylvain Bellavance, directeur de la négociation pour la FMSQ, à la suite d'une question de La Presse.

UNE HAUSSE CRITIQUÉE

De son côté, l'ancien premier ministre du Québec Lucien Bouchard - qui a agi comme conseiller spécial pour la FMSQ dans le dossier - a affirmé avoir bon espoir que le lien de confiance entre les Québécois et leurs médecins spécialistes se reconstruira.

« Cette relation, n'oublions pas, a été, et devrait toujours être, un fondement de la cohésion sociale d'une société, ce qu'il faut rétablir. [On vit] un passage difficile, un débat controversé, mais regardons vers l'avenir. L'avenir va être meilleur », a dit Lucien Bouchard.

L'entente va « insuffler un nouvel esprit de coopération, de respect, de confiance à l'intérieur du réseau [de la santé] », a poursuivi Me Bouchard.

Ces dernières semaines, plusieurs voix se sont élevées dans la population - et même au sein du corps médical - pour critiquer la hausse. Plusieurs centaines de médecins - dont 260 médecins spécialistes - ont signé la pétition lancée par le groupe Médecins québécois pour un régime public réclamant que leur hausse salariale soit plutôt redistribuée afin d'assurer « des services en santé dignes à la population du Québec ».

M. Bouchard y voit un « paradoxe » puisque « d'énormes concessions monétaires » ont été effectuées, insiste-t-il. Son mandat était d'améliorer les conditions de pratique et les mesures d'accessibilité pour les patients, a-t-il dit, et non pas d'aller chercher une nouvelle hausse de rémunération.

« Tandis que les adjectifs utilisés pour qualifier la portée financière de cette entente font état d'augmentations faramineuses ou de hausses stratosphériques et que l'on accuse les médecins spécialistes de faire preuve d'une gloutonnerie abyssale ou d'être des adorateurs du veau d'or public, la réalité est tout autre et démontre l'ampleur des concessions financières qui ont été effectuées », a ajouté pour sa part le directeur des affaires juridiques et de la négociation de la FMSQ, Me Sylvain Bellavance.

GUERRE DE CHIFFRES

Le Conseil du trésor parle d'une hausse récurrente de la rémunération globale de 11,2 % sur 8 ans, à laquelle s'ajoute une majoration de 2,2 % pour la portion non récurrente (1,5 milliard sur 12 ans), pour un total de 13,4 %.

De son côté, la FMSQ avance plutôt le chiffre de 5,2 % pour la rémunération récurrente et non récurrente (250 millions), plus une portion équivalant à 3,6 % (170 millions) pour financer des mesures d'accessibilité et autres, pour un total de 8,8 %.

L'écart entre les 13,4 % et les 8,8 % des deux parties vient d'une hausse des tarifs qui a déjà été versée en 2015-2016 et qui était comprise dans la précédente entente, selon la FMSQ.

La présidente de la FMSQ dit ne pas regretter d'avoir gardé le silence tout ce temps, mais elle a tenu, hier, à « rectifier » plusieurs faits.

« Il est faux de prétendre que notre entente se fait au détriment des autres professionnels, du financement du système de santé, des écoles, des CPE et des autres besoins sociétaux, a conclu la Dre Francoeur. Nous invitons le gouvernement à s'engager sans tarder à tenir compte de ces économies de 3,5 milliards de dollars [valeur des concessions réalisées par la FMSQ dans l'entente, selon cette dernière] afin d'investir dans les services publics où les besoins sont les plus criants. »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Lucien Bouchard, conseiller spécial de la FMSQ

Rémunération des médecins spécialistes: l'entente en bref

• Entente de 8 ans (période 2015-2023) avec des versements répartis jusqu'en 2027

• Hausse de rémunération de 5,2 % - 250 millions - qui équivaudra à un chèque d'environ 25 000 $ par médecin que les spécialistes recevront d'ici quelques semaines, selon la FMSQ. Il s'agit d'une somme rétroactive au 1er avril 2017. Cette augmentation avait été acceptée par le ministère de la Santé en août 2016, mais bloquée par le Conseil du trésor dans l'attente du renouvellement de leur entente, a expliqué Me Sylvain Bellavance, de la FMSQ.

INVESTISSEMENTS EN MESURES D'ACCESSIBILITÉ AUX SOINS

30 millions par année serviront à payer les échographies en cabinet privé

60 millions iront à l'introduction de mesures visant l'amélioration de l'accessibilité aux services spécialisés et comprenant notamment le dossier médical électronique en cabinet, les consultations électroniques, les comités du diagnostic et du traitement du cancer et d'autres mesures de soutien temporaire.

15 millions par année pour faire fonctionner, 16 heures par jour, les appareils d'imagerie par résonance magnétique (IRM) et de tomodensitométrie (scan). L'entente permet aux hôpitaux de recourir au privé pour atteindre l'objectif.

Pour régler les « bris de services » dans les hôpitaux en région, les anesthésiologistes devront s'organiser entre eux afin que tous les quarts de travail soient couverts. Des pénalités sont prévues. Un anesthésiologiste devra débourser 3000 $ pour chaque journée de non-respect. Leur association professionnelle devra quant à elle verser de 100 000 $ à 200 000 $ si cela échoue. Les anesthésiologistes qui participeront à ce programme de dépannage à l'extérieur de leur hôpital habituel auront droit à des primes oscillant entre 1250 $ et 1500 $ par jour.

Ce plan de remplacement provincial s'étendra à d'autres spécialités plus tard en 2018 (chirurgiens) et en 2019 (autres spécialités de base).

UNE ÉTUDE COMMANDÉE

L'Institut canadien d'information sur la santé (ICIS) est mandaté pour calculer l'écart de rémunération entre l'ensemble des médecins spécialistes du Québec et ceux des autres provinces canadiennes sur la base de l'année 2016-2017 au plus tard le 1er septembre 2019. L'ICIS va étudier les revenus moyens des médecins et la tarification des codes d'acte. Or, peu importe les conclusions de l'étude, cela « ne saurait remettre en question le respect de l'ensemble des engagements financiers convenus en vertu du présent protocole et des sommes à verser d'ici au 31 mars 2027 afin de traduire les augmentations de l'enveloppe budgétaire prévues pour chacune de ces années ». En d'autres mots, la hausse de rémunération négociée sera maintenue et cette étude influencera seulement la prochaine négociation.

EXIT LA PRIME « JAQUETTE »

La FMSQ s'est engagée à réviser les tarifs et autres éléments de rémunération des médecins spécialistes afin « d'assurer leur pertinence et une saine gestion de l'enveloppe de rémunération ». Le supplément pour les patients en isolement - la prime « jaquette » - sera aboli.

- Avec la collaboration de Francis Vailles, La Presse