Bien qu'elle soit aux prises avec plus d'une dizaine de handicaps et de problèmes de santé, Camille Larouche, 13 ans, n'est pas admissible à un supplément mensuel de 963 $.

Selon les médecins qui la suivent, Camille Larouche, âgée de 13 ans, est sourde, elle a une déficience intellectuelle sévère, quatre scolioses, des difficultés comportementales significatives, une cécité partielle, des problèmes osseux qui lui donnent la taille d'une enfant. Elle ne contrôle pas ses selles, elle ne peut pas s'habiller, elle ne peut pas écrire en raison d'une malformation aux poignets. Mais aux yeux du ministère québécois de la Famille, elle n'est pas « une personne handicapée nécessitant des soins exceptionnels ».

Elle n'est donc pas admissible à un supplément de 963 $ par mois, une subvention mise en place par Québec en 2016 et destinée aux parents qui « doivent assumer des responsabilités hors du commun en matière de soins particuliers ».

« Je suis épuisée et, surtout, écoeurée », dit sa mère, Valérie Larouche.

En décembre, Retraite Québec, qui s'occupe entre autres du Soutien aux enfants et qui traite la demande, a maintenu son refus. Non, a-t-il été confirmé, la mère de Camille n'était pas admissible à la subvention.

Selon Retraite Québec, qui relève du ministère de la Famille, dans les catégories « soins personnels » et « responsabilités et éducation », Camille a certes une « limitation absolue », « compte tenu de sa déficience intellectuelle sévère ».

D'un point de vue nutritif, comme elle doit être « encouragée et supervisée pendant qu'elle mange afin d'éviter les étouffements », on lui reconnaît une « limitation grave », tout comme en matière de communication.

Mais parce que « Camille peut marcher sans aide sur une distance de moins d'un kilomètre » et parce que « pour une plus grande distance, elle utilise une poussette », elle n'a pas, selon le gouvernement du Québec, de limitation absolue ou grave à cet égard.

Or, pour être admissible au supplément, un enfant doit avoir « soit une limitation absolue de la réalisation de cinq habitudes de vie et une limitation grave ou absolue de la réalisation d'au moins une autre habitude de vie ; soit une limitation absolue de la réalisation de quatre habitudes de vie, dont celle relative aux déplacements, et une limitation grave ou absolue de la réalisation d'au moins deux autres habitudes de vie ».

14 PRINCIPAUX PROBLÈMES DE SANTÉ

Dans le dossier de demande de supplément figure une lettre de la Dre Isabelle Chevalier, chef du service de pédiatrie générale du CHU Sainte-Justine, qui connaît Camille depuis une dizaine d'années et qui ne va pas dans le sens du Ministère. Après avoir énuméré dans une lettre de deux pages en petits caractères les 14 principaux problèmes de santé de Camille et leurs effets sur son quotidien, elle a écrit en juillet qu'à son avis, son dossier méritait une réévaluation. 

« La lourdeur des soins m'apparaît à plusieurs égards comparable à la lourdeur des soins pour mes patients qui reçoivent des soins médicaux complexes à domicile », dit la Dr Chevalier.

Camille fréquente au demeurant une école pour enfants handicapés. « En fait, aux yeux du gouvernement, parfois elle est handicapée, parfois, elle ne l'est pas », commente sa mère.

Dernièrement, Mme Larouche a été particulièrement occupée. Pour la deuxième fois, l'école a perdu les appareils auditifs de Camille. Il a aussi fallu prendre les mesures pour un fauteuil roulant, parce que côté marche, ça ne va plus. L'épilepsie s'est aussi ajoutée au tableau.

UN MAL IMPOSSIBLE À NOMMER

Née à Dolbeau, Camille avait à peine quelques heures quand il a fallu la transporter par avion dans un hôpital spécialisé de Québec. Ce qu'elle avait ? Un mal impossible à nommer, mais en résumé, elle avait un peu de tout et des maladies rares, très rares.

Au cours de sa vie, elle a été vue en pédopsychiatrie, en physiothérapie, en ergothérapie, en orthophonie, en audiologie, en pédiatrie, en ophtalmologie et en ostéopathie.

Les médecins ne savent pas combien de temps elle vivra. Des spécialistes ont même déjà demandé à sa mère si, à force de faire des recherches sur l'internet, elle avait réussi à trouver un cas similaire au sien.

Bref, Camille est un mystère pour la médecine.

Depuis 13 ans, sa mère a dû beaucoup se battre. Pour obtenir une place en service de garde, pour que Camille ait une place dans un camp pour enfants handicapés, pour obtenir plus d'aide spécialisée.

GARDER SON ENFANT PRÈS D'ELLE

La subvention mensuelle de 963 $ a été créée il y a quelques mois dans la foulée de la croisade de mères qui, en désespoir de cause, ont fait front commun et ont multiplié les sorties dans les médias pour faire comprendre au gouvernement que si les parents ne s'occupaient pas eux-mêmes de leurs enfants handicapés et qu'ils décidaient de les placer, il en coûterait autrement plus cher à la société.

Valérie Larouche ne veut pas non plus envoyer son enfant en institution. Elle veut la garder auprès d'elle.

Mais ce qu'elle veut aussi, c'est une certaine justice. « Mettons que si j'étais une personnalité publique, le dossier de Camille n'aurait pas été refusé. »

Au cabinet du ministre de la Famille Luc Fortin, l'attaché de presse Karl Filion dit que pour des raisons de confidentialité, il ne peut commenter un dossier en particulier, à moins d'avoir l'autorisation expresse de la mère, et encore là, a-t-il dit, ce n'est pas certain qu'il puisse ajouter quoi que ce soit (de fait, une procuration a été envoyée, en vain).

De façon générale, M. Filion a donc indiqué que les évaluations et les critères qui les sous-tendent « sont faits par des médecins ».

Il a ajouté que l'enveloppe liée au supplément n'est pas fermée, en ce sens que tous les enfants qui répondent aux critères seront considérés.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Camille Larouche