Québec étend peu à peu le champ de pratique des superinfirmières, mais l'enjeu de leur autonomie professionnelle par rapport aux médecins demeure entier.

Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, était fier d'annoncer mercredi l'adoption de deux règlements visant à officialiser le fait que certains actes jusqu'à maintenant réservés aux médecins pourront désormais être effectués par des infirmières praticiennes spécialisées, dites «superinfirmières».

Elles pourront par exemple traiter des cas présumés d'hypertension, d'asthme ou de diabète, avant même qu'un médecin ait vu le patient et posé un diagnostic.

Il n'y a aura plus de limite à leur capacité de prescrire des médicaments.

L'annonce, faite en présence de tous les intervenants concernés, n'a cependant pas permis de dissiper le flou entourant l'étendue et les limites des pouvoirs des uns et des autres, chacun y allant de son interprétation.

Selon la compréhension des premières intéressées, les patients devront prendre rendez-vous rapidement avec un médecin pour obtenir un diagnostic confirmant l'analyse faite initialement par la superinfirmière.

Plus nuancé, le ministre Barrette a indiqué que cette deuxième rencontre n'était pas «systématique». Par contre, «il est systématique que le médecin soit informé» du dossier.

Quoi qu'il en soit, les superinfirmières et les médecins devront apprendre à travailler de concert, en collaboration et en complémentarité, ce qui n'ira pas nécessairement de soi.

Un des deux règlements adoptés officialise la relation d'autorité exercée par le médecin, qui devra «assurer un contrôle de la qualité des activités médicales exercées».

La présidente de l'Association des infirmières praticiennes spécialisées (AIPSQ), Christine Laliberté, a salué les progrès annoncés par le ministre, tout en déplorant le retard du Québec à ce chapitre, en comparaison avec la situation ayant cours ailleurs au pays où elles peuvent notamment poser des diagnostics.

Elle a déploré la formule québécoise, basée sur une duplication des soins offerts, un patient ne pouvant pas se limiter à rencontrer une superinifirmière pour avoir à la fois un diagnostic et le traitement approprié.

«Si on s'arrête aujourd'hui, c'est clair qu'on reste en arrière» des collègues des autres provinces, a commenté Mme Laliberté, notant que rien ne justifie une telle situation.

Elle note que la formation universitaire de niveau de la maîtrise acquise par les praticiennes québécoises se compare avantageusement à celle exigée ailleurs au Canada.

«On est les seules au Canada à ne pas diagnostiquer», a déploré Mme Laliberté, qui doit se contenter d'émettre des «hypothèses diagnostiques» dans le cadre légal actuel.

Depuis des années, les superinfirmières se battent pour acquérir une plus grande autonomie professionnelle, mais se butent à la résistance du corps médical, qui dit être ouvert aux superinfirmières tout en cherchant à conserver ses prérogatives et privilèges.

En conférence de presse, le ministre Barrette a refusé d'y voir une forme de tutelle exercée par les médecins sur les infirmières praticiennes. Il parle plutôt d'un nécessaire «partenariat» à construire, avec un partage des responsabilités qui se définira et se précisera au fil des ans.

«On fait une réforme qui brise les silos, on ne va pas en créer d'autres», a fait valoir le ministre Barrette, misant beaucoup sur le «partenariat» superinfirmière-médecin.

Les nouveaux règlements ont été négociés pendant des années par Québec, l'Ordre des infirmières et le Collège des médecins.

Le président du Collège des médecins, le Dr Charles Bernard, a dit que selon sa compréhension la superinfirmière va «identifier le problème», puis pour «confirmer un diagnostic plus compliqué elle va faire affaire avec son médecin-partenaire».

«C'est pas simple la médecine», a-t-il dit, affirmant l'importance de miser sur le travail d'équipe.

Il faut éviter «que chacun tire sa poche et ait sa part de marché», a illustré le Dr Bernard.

Un comité de suivi a été créé pour poursuivre les échanges entre les ordres professionnels et le gouvernement à ce propos.

M. Barrette a soutenu qu'il avait livré la marchandise pour répondre aux demandes concrètes des superinfirmières, ajoutant que la question plus large de leur autonomie professionnelle était un autre débat.

«Nous avons répondu de façon pleine et entière aux demandes des infirmières», a-t-il insisté.

Le Québec compte actuellement 475 superinfirmières.

En vue de faciliter l'accès à des soins de santé, le ministre Barrette s'était engagé en 2014 à en former 2000 d'ici 2024. Il a réaffirmé cet engagement mercredi et croit être sur la bonne voie de le réaliser.