Après l'hôpital Saint-Luc et l'Hôtel-Dieu, c'est au tour de Notre-Dame de déménager. Aujourd'hui, ses patients sont transférés. Difficile de trouver médecin plus enthousiaste que la Dre Danielle Charpentier à l'idée de s'installer dans le nouveau CHUM. L'hématologue-oncologue vante une « révolution », rien de moins, pour les patients atteints d'un cancer.

La Dre Danielle Charpentier n'est pas du genre nostalgique.

Dans les années 80, la jeune médecin a dû s'exiler à Toronto pour faire sa spécialité en oncologie, car la formation ne se donnait pas au Québec.

À son arrivée à l'hôpital Notre-Dame en 1990, le minuscule centre de cancérologie était installé dans un bâtiment vétuste - le pavillon Louis-Charles-Simard, qui avait servi à accueillir des visiteurs d'Expo 67. Il y avait seulement quatre chaises de traitement de chimiothérapie et une poignée de lits d'hospitalisation.

La jeune hématologue-oncologue avait été recrutée pour implanter l'autogreffe de moelle osseuse - un « nouveau » traitement, à l'époque, qui consiste à réinjecter au patient ses propres cellules souches après une chimiothérapie intensive.

« Il y avait tellement à faire », se rappelle la médecin de 60 ans, cogestionnaire du Centre intégré de cancérologie du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM).

À l'époque, les patients atteints de cancer devaient être hospitalisés pour recevoir leur traitement de chimiothérapie.

Depuis près de 30 ans, la Dre Charpentier a mis en branle - « avec d'autres collègues », tient à préciser cette femme d'équipe - plusieurs « révolutions » dans les traitements des patients atteints du cancer au CHUM.

Dans les années 90, la Dre Charpentier a mis sur pied le centre d'oncologie « ambulatoire ». Avec l'amélioration des médicaments pour le contrôle des nausées et de nouveaux protocoles d'administration de chimiothérapie, les patients pouvaient désormais recevoir leur traitement sans être hospitalisés, explique la médecin. La plupart des patients pouvaient retourner à la maison le jour même. « Ça a tellement été bénéfique, autant pour le patient et sa famille que pour l'hôpital. C'était tellement exigeant pour les patients de devoir dormir ici », se souvient-elle.

À l'époque, la Dre Charpentier a aussi remué ciel et terre pour déménager la clinique d'oncologie du pavillon vétuste vers un plus grand pavillon de Notre-Dame. « Avec ma cogestionnaire de l'époque, on s'était dit : il faut faire quelque chose, on est en train d'étouffer », se rappelle-t-elle. La médecin est aussi à l'origine de la création d'une urgence oncologique qui répondait à un grand besoin.

La dernière journée

Mercredi dernier, La Presse a accompagné la Dre Charpentier dans sa dernière journée de clinique à Notre-Dame, hôpital où elle travaille depuis près de trois décennies.

Dans le corridor bondé du quatrième étage du pavillon Deschamps, de nombreux patients attendent en ligne devant le comptoir des rendez-vous. Il y a tellement de monde - les patients viennent souvent accompagnés d'un proche - que les infirmières et préposés sont passés maîtres dans l'art de se faufiler entre les patients.

La Dre Charpentier verra 11 patients cet après-midi-là dans la petite cabine numéro 13, « sa » cabine.

Depuis 20 ans, le volume de patients a augmenté de façon exponentielle, souligne la médecin, à cause du vieillissement de la population, de la démographie, et aussi en raison des avancées dans les traitements. Près de 45 % des gens vont avoir un cancer au cours de leur vie.

Lorsqu'Annie* pénètre dans la cabine 13, la médecin l'accueille chaleureusement. Depuis 12 ans, les deux femmes se voient pratiquement chaque mois. « Je vois certains patients plus souvent que ma propre famille », dit l'hématologue-oncologue.

« Je vous vois plus souvent que mes propres parents », confirme la patiente de 44 ans avant d'éclater de rire. La Dre Charpentier lui a diagnostiqué un cancer du sein alors qu'elle avait 32 ans et deux enfants encore aux couches. Aujourd'hui, ils sont adolescents.

« Je ne dis pas qu'il n'y a pas un lien entre patient et médecin dans d'autres spécialités. Mais la relation avec le patient en oncologie est assez unique. »

« Il n'y a pas beaucoup de disciplines où tu vois un patient toutes les trois semaines, parfois pendant dix ans, dit la Dre Charpentier. Souvent avec sa famille, en plus. Les patients nous disent : "Je veux voir mon enfant grandir, je veux le voir entrer au secondaire." Ils nous lancent des défis. Moi, ça me motive. »

Annie ne guérira jamais de son cancer. Elle a eu de nombreuses récidives au fil des ans. « La Dre Charpentier a une écoute extraordinaire, décrit la patiente. Elle n'a jamais laissé tomber ses patients, même si elle en avait plein les bras avec la gestion du centre de cancérologie et son déménagement au nouveau CHUM. J'ai l'impression de courir un marathon depuis 12 ans avec elle à mes côtés. »

La cogestion du centre intégré de cancérologie du CHUM n'est pas une mince tâche. Ce centre compte 17 équipes interdisciplinaires, dont 14 liées chacune à un type de tumeurs bien précis (sites tumoraux). Il traite aujourd'hui 8000 nouveaux cas de cancer par an, soit environ le double d'il y a 20 ans. Alors que le centre avait quatre chaises de traitement de chimio en 1990, il en comptera 43 dans le nouveau CHUM. « Et ces chaises ne sont pas minutées, mais presque. Elles peuvent être utilisées par trois patients dans la même journée », explique la Dre Charpentier.

Premiers patients

Demain, la Dre Charpentier et son équipe accueilleront leurs premiers patients dans le nouvel hôpital ultramoderne de la rue Sanguinet. Deux étages - les 14e et 15e de l'immeuble C - sont réservés au centre intégré de cancérologie. C'est là que va s'opérer une grande « révolution », dit-elle fièrement.

Avant la construction du nouveau CHUM, le centre de cancérologie était réparti sur trois sites - Saint-Luc, Hôtel-Dieu (jusqu'en 2009) et Notre-Dame. Ainsi, un patient pouvait recevoir un diagnostic de cancer hépatobiliaire et se faire opérer à Saint-Luc, puis devoir se déplacer à Notre-Dame pour recevoir ses traitements de chimiothérapie. Il pouvait s'écouler parfois des semaines entre les rendez-vous sur les différents sites. « Ça augmentait l'anxiété du patient », décrit la médecin.

À compter de cette semaine, toutes les équipes interdisciplinaires seront réunies sous le même toit - ou presque, puisque les infirmières pivots restent dans un vieux pavillon pour l'instant et devraient se joindre au centre intégré d'ici 2021. Dans la même demi-journée, le patient pourra rencontrer son chirurgien, son radio-oncologue, son hématologue-oncologue, plutôt que de faire trois visites. Il pourra aussi consulter un psychologue sur place, s'il en sent le besoin.

« Mon rêve se réalise graduellement, lance la Dre Charpentier. Ma vision était de rassembler tous les gens qui travaillent en oncologie - le plus possible - et de permettre aux patients lorsqu'ils arrivent au CHUM de se sentir entourés, en sécurité. Qu'ils sentent qu'on les écoute vraiment, qu'on va leur proposer le meilleur plan de soins pour eux et qu'on va répondre à leurs attentes. »

L'époque où, d'un côté du bureau, le médecin dictait le traitement et où, de l'autre côté, le patient devait écouter sans prendre part au processus de décision est révolue, dit la médecin, qui croit à la notion de « patients partenaires ». Les patients entrent désormais dans son bureau très renseignés sur leur cancer. Certains enregistrent même l'oncologue lorsqu'elle leur explique leurs options.

Parfois, les patients lui demandent : « Si j'allais à New York ou en Europe, est-ce que je serais mieux traité ? » « Je ne les empêche pas de partir, mais je leur dis toujours : au Canada, on a un excellent système de santé. C'est sûr que ce n'est pas parfait. On a encore des croûtes à manger quant à l'accessibilité, le lien avec la première ligne, le dépistage, énumère-t-elle. Mais tous les patients nous le disent : une fois qu'ils sont rentrés au centre intégré de cancérologie, ils n'en reviennent pas comme ça roule. Notre centre est l'un des meilleurs au monde. »

La Dre Charpentier n'est pas du genre nostalgique, mais elle conserve le souvenir d'une tonne d'instants partagés à l'hôpital Notre-Dame avec des patients qui se sont éteints depuis. Comme cette directrice d'école profondément en colère qui a mis des mois à accepter son diagnostic de cancer du sein et faire confiance à sa médecin.

Au fil des années, cette patiente s'est transformée. Elle a décidé de profiter de chaque moment. « À une fête d'Halloween, elle est arrivée à son traitement de chimio déguisée en clown et elle distribuait des bonbons à tout le monde », raconte l'oncologue, émue en racontant l'anecdote. Cette patiente est morte, aujourd'hui, mais sa fille, qui accompagnait sa maman lors de ses traitements, travaille aujourd'hui au CHUM comme pharmacienne.

La Dre Charpentier se ressaisit. Ce n'est pas le temps d'être nostalgique, la médecin de 60 ans a une nouvelle révolution à débuter.

* La patiente nous a demandé de ne pas dévoiler son nom de famille.

Une logistique complexe

Cas lourds

Aujourd'hui, l'urgence de Notre-Dame fermera dès 5 h. À 7 h, le transfert des patients hospitalisés débutera vers le nouvel hôpital de la rue Sanguinet. Le transfert des patients de Notre-Dame est de loin le plus complexe des trois que le CHUM a eu à planifier (celui de Saint-Luc a eu lieu le 8 octobre et celui de l'Hôtel-Dieu le 5 novembre) puisqu'il y a un plus grand nombre de patients à déménager cette fois-ci et que les cas sont plus lourds, explique la présidente-directrice générale adjointe du CHUM, Danielle Fleury.

Une urgence à éviter

Certains patients de Notre-Dame entreront dans le nouveau CHUM via son urgence, si bien que la population est invitée à éviter l'urgence de l'établissement de la rue Sanguinet ce matin.

Un itinéraire à éviter

Pour assurer la fluidité et la rapidité des transferts, le CHUM demande à la population d'éviter d'emprunter ce matin l'itinéraire établi pour le transport des patients, soit la rue Plessis, le boulevard René-Lévesque Est, la rue Amherst et l'avenue Viger Est.

Notre-Dame se transforme

Contrairement à l'hôpital Saint-Luc, Notre-Dame ne ferme pas aujourd'hui. À minuit le 27 novembre, le CHUM cédera la gestion de Notre-Dame au CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal. Notre-Dame deviendra un hôpital de soins généraux et spécialisés qui conservera notamment des départements de psychiatrie, de soins palliatifs et de chirurgie générale.