Le plus grand centre de désintoxication du Québec n'en pouvait plus d'attendre le feu vert du gouvernement. La direction a pris les moyens du bord pour confectionner des trousses de naloxone avec des étuis à crayon achetés dans un magasin à un dollar. Désormais, tous les dépendants aux opioïdes de L'Envolée, située dans la région de Granby, reçoivent une trousse quand ils obtiennent un droit de sortie.

Si la gratuité de l'antidote sans ordonnance est entrée en vigueur dans 1900 pharmacies cette semaine, sa distribution dans les groupes d'aide est encore à l'étude au gouvernement. Et il est nécessaire de présenter au pharmacien une carte d'assurance maladie valide pour obtenir l'antidote.

Le directeur du Centre L'Envolée, Nicolas Bédard, estime que tous les groupes communautaires et centres d'injection supervisée devraient être équipés au plus vite. « On fait face à un fléau », assure-t-il. Selon lui, le gouvernement a agi en retard sur les autres provinces avec le fentanyl, drogue vendue en comprimés sur le marché noir.

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Nicolas Bernard, directeur de L'Envolée

M. Bernard et son équipe n'ont pas attendu le gouvernement et ont acheté des étuis dans des magasins à un dollar. Ils ont trouvé des masques de protection sur Amazon.com et approché médecins et pharmaciens pour confectionner les trousses. Le centre entend demander un remboursement à la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) pour les fioles de naloxone, seringues, tampons d'alcool et les gants pour pratiquer l'intervention.

«Ça marche»

Francis Vlayen est l'un des quelque 120 pensionnaires de l'Envolée. Il a été admis le 21 juin après un séjour en prison. Le jeune père de famille raconte que les surdoses sont nombreuses avec le fentanyl à cause de sa forte concentration et de son effet de courte durée entraînant la nécessité de reprendre une dose. Il affirme avoir été témoin de plusieurs surdoses, tant dans la rue que derrière les murs des prisons.

« Ça réveille raide, la naloxone, ça marche, assure-t-il. Je vois la distribution des trousses comme une sécurité supplémentaire. Une sécurité pour moi en cas de rechute, mais aussi pour mon entourage », dit-il, tout en précisant qu'il ne se sent pas encore assez solide pour obtenir un droit de sortie.

Jonathan Espino, arrivé en désintoxication le 7 juillet, se souvient de son frère qui a passé à un cheveu d'y rester. Lui aussi connaît la prison.

« Mon frère a commencé à avoir des convulsions aux jambes, une crise d'épilepsie. Je ne savais pas comment l'aider. Il est tombé en arrêt cardiaque, il était mauve. Comme raide mort », se rappelle-t-il.

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Jonathan Espino, pensionnaire de L'Envolée

Les fioles de naloxone injectable offertes en pharmacie se détaillent environ 35 $ l'unité. Il existe sur le marché un vaporisateur nasal d'environ 75 $ l'unité, mais ce n'est pas le format de gratuité prévu par le ministère de la Santé. Généralement, deux doses sont nécessaires pour ramener quelqu'un en surdose.

«Pour elle, il était trop tard»

Au centre, on privilégie les fioles de naloxone injectable sous-cutanée même si on craint une rupture de stock en raison de la forte demande au pays. De toute façon, a fait remarquer un pensionnaire à La Presse, les toxicomanes ont l'habitude des seringues. L'un d'eux, Gilles Ferland, a vécu quatre ans dans la rue. Lui aussi a passé par la prison. Et il venait à peine d'emménager dans un logement avec des colocataires quand il a retrouvé une jeune femme morte sur le plancher de sa salle de bains. Il était trop tard.

« Je me souviens, elle s'appelait Marie-Josée. Ils ont dit qu'elle avait mélangé des benzodiazépines avec du speed. Pour elle, il était trop tard. Mais je me dis qu'elle serait peut-être encore en vie si quelqu'un avait eu de la naloxone dans le logement. »

Yannick Belisle, en thérapie depuis le 19 octobre, acquiesce de la tête. Il se rappelle au moins quatre morts dans le secteur du parc Émilie-Gamelin, au centre-ville de Montréal. Tout comme les autres, il espère réussir à s'en sortir. Mais il ne quittera pas le centre sans sa trousse, juste au cas.

NALOXONE

Santé Canada permet depuis mars 2016 aux pharmaciens d'offrir de la naloxone sans ordonnance aux personnes qui pourraient subir une surdose ou qui pourraient en être témoins. Toutes les provinces ont implanté un programme de gratuité. En Colombie-Britannique et en Alberta, où la vague de morts reliées au fentanyl a frappé en premier, des universités se sont équipées de trousse de naloxone cet automne. La naloxone figure sur la liste des médicaments essentiels de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

RUPTURE DE STOCK EN PHARMACIE 

La naloxone est victime de son succès depuis que le gouvernement du Québec a annoncé son accès sans ordonnance en pharmacie. Des pharmacies sont en rupture de stock, a confirmé l'Ordre des pharmaciens du Québec, en précisant qu'il s'agit « peut-être d'une pénurie ponctuelle ». Chez Proxim, dans le sud de Montréal, le pharmacien Nicolas Bourri n'a plus de naloxone injectable. « C'est plate parce qu'il me semble qu'on le savait depuis longtemps que ça s'en venait. Il me semble que les distributeurs auraient pu voir venir le coup et s'approvisionner en conséquence. », indique M. Bourri. 

Le porte-parole de l'un des grands acteurs de la distribution, Darius Kuras, de McKesson Canada, a rappelé que la naloxone est distribuée en deux formats : en trousse et en fiole. « La demande a été plus élevée que prévu pour les trousses de naloxone et nous travaillons avec diligence afin de rétablir notre inventaire dans nos centres de distribution. Il a ajouté que McKesson reconnaît que l'épidémie de consommation d'opioïdes est une crise de santé publique au pays. McMahon, filiale de Metro dont le siège social est situé à Montréal, n'a pas donné suite à une demande d'explications.