Sur la base de leur expérience, les psychiatres québécois réclament aux gouvernements de ne pas autoriser la consommation de cannabis avant l'âge de 21 ans et de ne pas permettre sa culture à domicile. Voici les 10 requêtes, regroupées par thèmes, que leur association rendra publiques ce matin, pour réduire ce qu'elle qualifie d'« énormes risques ».

GARE AUX CERVEAUX IMMATURES

« Le projet de loi fédéral est inacceptable dans sa forme actuelle. On lutte contre le tabac, les boissons énergisantes et le décrochage, mais on est prêt à offrir aux jeunes quelque chose qui peut abîmer leur cerveau ! », dénonce en entrevue la Dre Karine Igartua, présidente de l'Association des médecins psychiatres du Québec (AMPQ).

Avant l'âge de 25 ans, le cerveau est encore en plein développement, renchérit sa consoeur, la Dre Amal Abdel-Baki. En l'inondant de cannabis à l'adolescence ou au début de l'âge adulte, on perturbe son processus de maturation. Surtout lorsque le cannabis est très concentré en THC (sa substance psychoactive).

« Avec l'imagerie cérébrale, on peut souvent voir les lésions causées au cerveau par le THC », dit la Dre Abdel-Baki. Dans la vie courante, cela se traduit par des problèmes de mémoire, d'attention et de traitement de l'information - qui peuvent tous contribuer à l'échec scolaire.

« On a l'impression que la société se trouve cool de légaliser et qu'on ne veut pas voir que la vie de certains jeunes pourrait basculer. Pour protéger les générations à venir, on propose un compromis - 21 ans - entre ce que la science nous dit sur le cerveau et le désir de réduire les méfaits liés au marché noir. » - La Dre Karine Igartua

À QUI S'ADRESSENT LES DEMANDES DES PSYCHIATRES ?

Au gouvernement du Canada, pour qu'il corrige le projet de loi déposé en avril avant de le faire adopter.

Au gouvernement du Québec, qui pourrait à défaut se montrer plus strict que le fédéral.

• DE 9 À 15 %: Proportion d'utilisateurs précoces (ayant commencé avant 16 ans) devenus dépendants1

• 2 %: Proportion d'utilisateurs quotidiens de cannabis parmi les Québécois de 15 à 17 ans1

• 5 %: Proportion d'utilisateurs quotidiens parmi les Québécois de 18 à 24 ans1

TROP DE PSYCHOSES

D'après certains chercheurs, ce n'était pas le cannabis qui rendait schizophrène, mais plutôt la schizophrénie qui poussait à en consommer, pour s'automédicamenter. En 2016, une étude publiée dans JAMA Psychiatry a toutefois montré que la marijuana augmente bel et bien le risque de psychose. Car plus on en fume fréquemment, plus on augmente le risque de rechute après sa première hospitalisation.

Fumer trop jeune peut aussi précipiter de deux à trois ans le déclenchement de la maladie. Fumer de la marijuana ne rendra pas un jeune schizophrène s'il n'a pas de prédisposition génétique, nuance la Dre Igartua. « Mais puisque les gens ne savent pas s'ils ont une telle prédisposition, à moins d'avoir des cas dans leur famille, c'est comme jouer à la roulette russe. Il n'y a pas de test de dépistage. »

40 %: Hausse du risque de trouble psychotique chez ceux qui ont consommé du cannabis au cours de leur vie1

79 %: Proportion de psychiatres québécois convaincus que la légalisation du cannabis nuira au fonctionnement et au rétablissement de leurs patients2

PAS À LA MAISON

Le projet de loi fédéral permet de cultiver quatre plants de marijuana chez soi. Puisqu'on ne peut cacher des plantes dans un placard, c'est trop risqué pour l'AMPQ, qui veut qu'on interdise une telle culture à des fins non médicales. « Il ne faut pas que ce soit accessible aux enfants », justifie la Dre Igartua, peu importe qu'ils habitent sur place ou soient en visite.

« Jeunes, on est tous allés voler une once de fort dans les bouteilles de nos parents. L'adolescent qui voit quatre plants à domicile n'aura qu'à aller se chercher une couple de feuilles. Ça ne se remarquera pas. » - La Dre Karine Igartua

SONNER L'ALARME

« Je donne des conférences dans les écoles secondaires et les jeunes comprennent que si le gouvernement légalise, c'est que c'est sans danger », rapporte la Dre Abdel-Baki, qui préside l'Association québécoise des programmes pour premiers épisodes psychotiques et qui a vu plusieurs patients sombrer dans la paranoïa.

Pour l'AMPQ, il faudra donc lancer des campagnes pour faire connaître les risques et les signes de dérive. L'association propose de passer aussi par les parents et par l'école. « On aimerait que ce soit fait systématiquement dès le début du cursus secondaire, précise la Dre Igartua. En 4e ou 5e secondaire, il est trop tard ; ils ont déjà commencé. »

NE PAS VISER LES PROFITS

La Société des alcools accorde des rabais et des points pour fidéliser ses clients. Ce serait « un non-sens » pour les psychiatres. La distribution du cannabis ne devra être soumise à « aucune logique de profit ou de croissance des activités de vente », plaide la Dre Igartua. « Dans les points de vente, les employés devraient être formés et récompensés pour dépister les problèmes et référer, non pas pour vendre le plus possible. » La publicité et les emballages attrayants doivent aussi être interdits.

FINANCER LE SYSTÈME DE SANTÉ

Le nombre de Québécois hospitalisés pour soigner des troubles mentaux ou du comportement causés par le cannabis a quadruplé entre 2004 et 2014. Comme le ministre québécois de la Santé, les psychiatres craignent que leur nombre augmente encore avec la légalisation. Et que cela coûte une fortune. « Les troubles psychotiques sont généralement chroniques et nécessitent des soins très intensifs. Une hospitalisation peut durer de trois à quatre semaines. Il faut prévoir les ressources », souligne la Dre Igartua.

En avril, la ministre fédérale de la Santé, Jane Philpott, a accusé les Québécois de crier au loup.

72 %: Proportion de psychiatres convaincus que la légalisation du cannabis entraînera une augmentation des besoins de services psychiatriques et psychosociaux2

Sources : 

1. Énoncé de position de l'AMPQ sur la légalisation du cannabis à des fins récréatives

2. Sondage interne fait en mai par l'AMPQ et auquel ont répondu 27 % des 1150 membres