Après des années à défendre le recours à la méfloquine, l'armée canadienne change son fusil d'épaule. Ce médicament antipaludéen controversé ne sera désormais utilisé qu'en dernier recours, pour les soldats qui présentent des contre-indications aux autres traitements ou qui font expressément la demande de recevoir de la méfloquine.

Ce changement de cap tombe le jour même où Santé Canada affirme dans un autre avis ne posséder aucune preuve que le médicament peut entraîner des effets neurologiques permanents. Certains experts ont réagi à ces deux déclarations simultanées en reprochant aux deux organisations de ne pas aller assez loin dans leur description des risques du médicament.

« Nous avions des éléments d'information complémentaires sur un même médicament qui arrivaient en même temps et il nous semblait utile de les publier [hier] », a dit Marc Berthiaume, directeur, bureau des produits pharmaceutiques et des matériels médicaux commercialisés, à Santé Canada.

La méfloquine est un sujet chaud au pays en raison des dérapages de la mission des forces armées canadiennes en Somalie au début des années 90. Un adolescent somalien, notamment, avait été torturé et tué par des soldats canadiens. Des vétérans soutiennent aujourd'hui que la méfloquine a joué un rôle dans ces incidents, et certains ont intenté un recours collectif contre les forces armées canadiennes pour les séquelles qu'ils disent avoir subies.

DES CONTRE-INDICATIONS

Hier, le médecin général de l'armée a dévoilé un rapport qui reconnaît que 12 % des ordonnances de méfloquine dans l'armée ont été faites pour des militaires dont le dossier médical contenait des contre-indications. Il est aujourd'hui reconnu que le médicament ne devrait jamais être administré à des gens qui souffrent de troubles comme la dépression ou l'anxiété sous peine d'infliger de graves dommages neurologiques. « Ces derniers cas représentent des incidents liés à la sécurité des patients et doivent faire l'objet d'une enquête », peut-on lire dans le rapport.

Le rapport reconnaît aussi que l'ancienne façon de faire de l'armée canadienne « diffère de celle de beaucoup d'autres armées occidentales ». Devant la difficulté de distinguer les effets secondaires de la méfloquine des réactions normales d'un déploiement militaire (anxiété, insomnie, paranoïa), les armées des États-Unis et d'autres pays ont en effet relégué la méfloquine au rang de médicament de derniers recours depuis plusieurs années.

L'armée canadienne a confirmé à La Presse qu'elle avait déjà adopté toutes les recommandations du rapport dans une nouvelle politique interne.

« C'est certainement un pas dans la bonne direction, mais il [le rapport] ne va pas assez loin », commente à La Presse la psychiatre américaine Elspeth Ritchie, qui aurait aimé que l'armée reconnaisse plus clairement les dangers à long terme de la méfloquine.

Remington Nevin, médecin américain rattaché à la Johns Hopkins University, se montre encore plus critique. « Ce rapport échoue à reconnaître le fait que les forces armées canadiennes ont systématiquement échoué à avertir correctement ses membres d'interrompre le traitement en cas d'effets sur le plan psychiatrique ou neurologique », dit-il. 

« AUCUNE DONNÉE PROBANTE » SUR LES EFFETS NEUROLOGIQUES

En parallèle, Santé Canada a dévoilé hier les résultats d'un examen au terme duquel l'organisme conclut qu'il n'existe « aucune donnée probante » montrant des effets neurologiques ou psychiatriques à long terme imputables à la méfloquine. Santé Canada reconnaît que de tels effets ont déjà été rapportés par un faible nombre de patients, mais affirme qu'il est impossible d'établir un lien avec le médicament.

Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) écrit pourtant que « des effets secondaires neurologiques peuvent survenir à tout moment pendant la consommation du médicament et peuvent durer des mois ou des années après l'arrêt du traitement ou être permanents ». 

« Santé Canada agit principalement pour protéger les Forces armées canadiennes contre les prétentions des vétérans qui affirment que leur santé a été touchée de façon permanente par le médicament », va jusqu'à dire le médecin américain Remington Nevin.

Marc Berthiaume, de Santé Canada, rejette fermement ces accusations. « On a révisé des centaines d'études [...] et il n'y a pas d'évidence substantielle que la méfloquine cause ces problèmes, dit-il. Ils sont rapportés, car on préfère en informer les gens, mais on ne peut pas établir de lien causal. »