C'est aujourd'hui que le gouvernement Trudeau déposera son projet de loi légalisant la consommation de marijuana à des fins récréatives. Le nouveau régime devrait permettre de posséder jusqu'à 30 g de cannabis et pourrait entrer en vigueur d'ici juillet 2018. Mais d'ici là, plusieurs éléments restent à clarifier.

QUE FAIRE DU MARCHÉ GRIS ?

Tout porte à croire que la production de cannabis récréatif sera dans un premier temps strictement réservée aux entreprises qui sont actuellement autorisées par Santé Canada à produire de la marijuana médicale. Certaines d'entre elles sont inscrites en Bourse ces derniers mois et ont embauché des lobbyistes pour les représenter à Ottawa. Plusieurs ont augmenté leurs capacités de production en prévision du nouveau régime. 

La place qui sera faite aux petits acteurs de l'ombre, qui exploitent des dispensaires médicaux et des coopératives de production rendues légales par des décisions de la Cour suprême, est incertaine. « Je m'attends à ce que tous ceux qui gravitent dans cette industrie parallèle se fassent écarter du nouveau régime, affirme Marc-Boris  St-Maurice, exploitant d'un dispensaire montréalais et militant pro-légalisation de longue date. Si c'est le cas, ce sera une grave erreur. Ça va tout simplement assurer la survie du marché noir », dit-il. 

L'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) estime que la création de petites « coopératives de production » sans but lucratif, qui obtiendraient une licence du gouvernement et qui seraient à l'opposé du modèle de production de masse préconisé par Ottawa, aurait pour avantage d'obliger les usagers à « planifier leur consommation » sans faire d'achats impulsifs. Elles risqueraient toutefois de « servir de paravent à une industrie criminalisée ».

FAUT-IL PERMETTRE LES PRODUITS DÉRIVÉS COMME LE « SHATTER » OU LES CIGARETTES ÉLECTRONIQUES AU CANNABIS ?

L'extraction de THC, qui connaît une popularité croissante dans les États américains qui ont légalisé la consommation, est réclamée par plusieurs acteurs de l'industrie. Ces extraits sont notamment utilisés dans la fabrication de cigarettes électroniques au cannabis, qui « pourraient faire partie d'une stratégie de santé publique cohérente », estime l'INSPQ. D'autres produits transformés à base d'huile de cannabis, comme le « shatter » et la « wax », peuvent atteindre des taux de concentration de THC allant jusqu'à plus de 80 %. Le Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis a recommandé au gouvernement de contrôler la concentration de ces extraits, mais n'a pas suggéré leur interdiction. Le gouvernement Trudeau a déjà indiqué son intention de limiter le marketing que les producteurs seront autorisés à faire autour de leurs produits et d'interdire la transformation en produits attirants pour les enfants, comme les bonbons et jujubes au cannabis.

QUEL MODÈLE DE DISTRIBUTION CHOISIR ?

C'est Ottawa qui contrôlera la production de cannabis, mais la distribution relèvera entièrement des provinces. La création d'un monopole d'État de vente et de distribution semblable à la SAQ fait partie des scénarios envisagés par Québec. Parmi les scénarios de régulation les plus favorables à la santé publique, l'INSPQ recommande la création d'un mécanisme par lequel un « monopole d'achat étatique redistribuerait le cannabis à des OBNL licenciés dotés d'une mission de réduction des méfaits ». Le syndicat des employés de bureau de la SAQ s'est déclaré favorable à ce que des succursales spécialisées soient créées, et a même fait des démarches de lobbying en ce sens.

QUEL SERA LE NIVEAU DE TAXATION ?

L'Institut CD Howe, influent groupe de réflexion économique de Toronto, estime qu'à elles seules, les taxes de vente (TPS et TVQ) récoltées sur les ventes de cannabis récréatif rapporteront 675 millions à Ottawa et aux provinces dans un régime légalisé. « Toutefois, si le gouvernement voulait générer 1 milliard en revenus, seulement la moitié du marché serait légal, ce qui laisserait 300 tonnes métriques de consommation au marché noir », écrit l'Institut dans un rapport publié cette semaine. Ottawa a mandaté le criminologue québécois Martin Bouchard l'an dernier pour déterminer l'élasticité du prix du cannabis. Si le prix sur le marché s'éloigne trop des 10 $ actuellement exigés pour 1 g de cannabis sur le marché noir, il y a de fortes chances que ce dernier tire son épingle du jeu. La marge de manoeuvre du gouvernement est donc assez limitée.

COMMENT CONTRÔLER LA CONDUITE SOUS INFLUENCE DU CANNABIS ?

La conduite automobile sous l'influence du cannabis reste un des enjeux les plus difficiles à contrôler pour le gouvernement. Différents corps policiers canadiens ont commencé à évaluer, dans le cadre de projets pilotes, un test salivaire permettant de déterminer si un conducteur a consommé de la marijuana. Aucun consensus scientifique n'existe cependant quant à la limite maximale de concentration de THC dans le sang jugée sécuritaire. « Le Colorado et l'État de Washington ont adopté des limites qui sont arbitraires », note Émilie Dansereau, chargée de dossier à l'Association de santé publique du Québec. « Nous, ce qu'on recommande, c'est la tolérance zéro, du moins tant qu'il n'y aura pas une façon scientifiquement reconnue de dépister la conduite sous influence. »