Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, se montre ouvert à un débat sur l'élargissement de l'accès à l'aide médicale à mourir comme le demande l'opposition.

En conférence de presse jeudi, le député caquiste François Bonnardel a livré un témoignage poignant sur sa mère atteinte de la maladie d'Alzheimer depuis une quinzaine d'années. Elle n'est pas admissible à l'aide médicale à mourir, puisqu'elle ne peut exprimer son consentement. M. Bonnardel croit que « la société est prête à avoir un débat », dans le cadre d'une commission parlementaire, sur la possibilité de la demander de façon anticipée, en cas d'inaptitude éventuelle.

« Je suis persuadé que si ma maman s'était vue dans l'état où elle est aujourd'hui, où elle ne vit plus, où elle est prisonnière de son corps, ne sourit plus, ne me reconnaît plus, ne marche plus, elle m'aurait sûrement dit : "Tu auras un mandat d'inaptitude pour ma vie un jour, je te fais confiance, je fais confiance aux médecins" », a-t-il affirmé. Il y a trois ans, il aurait été incapable d'exécuter la volonté de sa mère, mais c'est autre chose maintenant. Si cela avait été possible en vertu de la loi et si elle avait fait une demande anticipée d'aide médicale à mourir, « j'aurais été prêt aujourd'hui à ce que ma mère... bon, c'est difficile à dire, mais...», a-t-il affirmé, la voix étranglée par l'émotion. Il s'est réfugié dans un coin de la salle de conférence de presse, tournant le dos aux caméras. Il a quitté les lieux les yeux dans l'eau.

Le débat sur les limites de l'aide médicale à mourir refait surface avec l'histoire de Michel Cadotte, accusé du meurtre non prémédité de sa conjointe Jocelyne Lizotte, qui était atteinte de la maladie d'Alzheimer. Elle aurait vu sa demande d'aide médicale à mourir refusée parce que son décès n'était pas imminent et que son consentement était impossible, selon des proches.

Gaétan Barrette « ne ferme pas la porte à un débat » sur « la directive médicale anticipée qui permettrait l'aide médicale à mourir ». Il fait valoir que la loi 52, présentée par la péquiste Véronique Hivon, mais adoptée sous le gouvernement Couillard, « était et demeure le plus petit commun dénominateur ». « Je suis tout à fait confortable à ce que le débat continue de façon neutre et objective », a-t-il dit. 

« Est-ce que la porte est fermée ? Certainement pas. Est-ce qu'il y a lieu de l'ouvrir d'une façon pleine et entière maintenant et rapidement et s'engager dans une commission (parlementaire) ? Est-ce qu'on peut prendre plus qu'une mêlée de presse pour réfléchir à la question ? » a-t-il lancé aux journalistes.

Pour Véronique Hivon, la demande anticipée d'aide médicale à mourir est un enjeu « complexe », mais « on ne peut pas fuir le débat, et le débat doit se faire ».

Le sujet avait été abordé devant la commission parlementaire « Mourir dans la dignité » et un groupe de travail piloté par le Collège des médecins l'avait examiné, mais « on avait conclu qu'il n'y avait pas de consensus ». Mme Hivon n'avait donc pas prévu la mesure dans son projet de loi, afin d'augmenter les chances d'adoption de sa pièce législative. Le tiers des députés libéraux ont voté contre la loi sous sa mouture actuelle, a-t-elle rappelé.

Mme Hivon a donné un exemple de la complexité du sujet : il pourrait être difficile de déterminer le moment où une personne est rendue à la situation d'inaptitude qu'elle avait prévue en donnant son feu vert anticipé à l'aide médicale à mourir.

La loi actuelle soulève une autre question, a-t-elle ajouté. Une personne apte à donner son consentement, qui a une maladie incurable et qui est en fin de vie, peut obtenir l'aide médicale à mourir. Mais une personne souffrant d'Alzheimer qui se retrouve dans la même situation, donc avec les mêmes souffrances, ne peut l'obtenir parce qu'elle est incapable d'exprimer son consentement.

Le député de Québec solidaire, Amir Khadir, lui-même médecin, est également favorable à ce qu'une commission parlementaire se dote d'un mandat d'initiative sur l'élargissement de l'accès à l'aide médicale à mourir. « Il faut ouvrir le débat sur comment on s'organise pour que les personnes qui sont dans une situation de maladie mentale ou de démence, qui ne sont pas capables de consentir, puissent quand même bénéficier des meilleurs soins. Et les meilleurs soins, ça veut dire que quand la souffrance est trop grande, irrémédiable, quand on est arrivé à un point de non-retour, s'il y a des personnes qui ont besoin qu'on les aide (à mourir), il faut les aider », a-t-il soutenu.

À Ottawa, le bureau de la ministre de la Santé, Jane Philpott, a indiqué que le gouvernement Trudeau a déjà entrepris un examen afin de déterminer si l'on devrait élargir la portée de la Loi fédérale sur l'aide médicale à mourir, adoptée en juin dernier.

Le gouvernement libéral a d'ailleurs retenu en décembre dernier les services du Conseil des académies canadiennes afin d'évaluer si l'on devrait accepter les demandes faites par des mineurs matures, permettre à des individus de soumettre des demandes anticipée et évaluer les demandes qui sont faites dans les cas où la maladie mentale est le seul problème de santé.

En adoptant cette loi, qui accorde à des patients souffrant de maladies incurables le droit d'obtenir l'aide médicale mettre fin à leurs jours dans la mesure où leur mort est « raisonnablement prévisible », le gouvernement Trudeau avait accepté d'entreprendre un examen de ces délicates questions dans un horizon de 180 jours, a-t-on souligné au bureau du premier ministre.

- Avec Joël-Denis Bellavance, Ottawa