«On est enfermés, gardés derrière des portes verrouillées, dans une bulle. La Saint-Valentin, comme les autres fêtes, nous permet de mesurer le passage du temps, de rester en contact avec ce qui se passe dehors.»

Cela fait quelques mois déjà que Sophie est hospitalisée à l'aile psychiatrique de l'hôpital de St. Mary. Elle préférerait certes être ailleurs, ailleurs que dans une chambre pour quatre personnes, à côtoyer des gens qu'elle n'a pas choisis, mais que la maladie mentale a réunis pendant un temps.

Mais tous, hier, faisaient contre mauvaise fortune bon coeur. Pour eux aussi, c'était la Saint-Valentin, organisée par le service de récréologie de l'hôpital, avec des cartes à bricoler, du chocolat chaud, des guimauves et l'espoir modeste «de redevenir un jour fonctionnelle», dit Sophie.

«C'est le lieu de toutes les souffrances, explique la Dre Marie-Andrée Ouimet, psychiatre. Quand on est hospitalisé ici, c'est qu'on ne peut plus fonctionner, que personne - qu'il s'agisse de psychologues ou de psychiatres en clinique externe - ne peut nous aider et qu'on a besoin d'un endroit où l'on sera en sécurité.»

Certains sont en détention, après décision d'un tribunal qui a constaté leur état. D'autres ne se sont pas rendus là, mais souffrent de schizophrénie, de dépression, de bipolarité, d'un trouble de la personnalité ou encore de démence.

Des cartes pour les enfants... et pour soi

Sophie, qui est hospitalisée depuis quelques mois, raconte que son mari est mort il y a deux ans et qu'un jour, elle n'a plus été capable d'avancer. «Je n'ai plus été capable de faire l'épicerie, de conduire.»

Elle ignore si elle redeviendra un jour la femme qu'elle a été. «Je vais sans doute devoir accepter que les choses ont changé pour moi.»

La carte de Saint-Valentin qu'elle préparait hier, c'était pour sa fille. «Je suis tellement fière d'elle. Elle traverse la tête haute une période difficile de sa vie. Son père est mort il y a deux ans, sa mère est à l'hôpital, en psychiatrie.» 

«Je veux [dire à ma fille], en cette Saint-Valentin, que je lui souhaite du bonheur, à tous les jours», dit Sophie. 

Elle sera contente, alors... «Elle sera surprise, surtout», répond Sophie en riant.

Pour Émilie aussi, cette Saint-Valentin est particulière. Infirmière, la voilà de l'autre côté du miroir, du côté des malades, en proie à une dépression majeure. Elle partage sa chambre avec une femme de 81 ans, dont elle s'occupe «comme de [sa] mère».

«Dans les derniers mois, j'ai vécu deux séparations, une première avec le père de mes trois enfants, une deuxième avec un autre homme. Je n'ai pas d'amoureux, mais j'ai néanmoins deux cartes de Saint-Valentin à offrir cette année : l'une à mes enfants et l'autre que je me destine, parce que je dois apprendre à m'aimer.»

«Les petites activités de Saint-Valentin ou les autres fêtes, ça aide. Ça aide à nous empêcher de réfléchi», dit Émilie.

Et quand on est au plus mal, les petits riens, ça compte. «Ça peut paraître banal, raconte à son tour Sophie, mais ici, dans l'unité, on n'a pas accès à de vrais ustensiles et on mange dans des assiettes de carton. Mais à l'Action de grâces et à Noël, on a eu de vrais bons repas, servis dans de la vraie vaisselle. C'était vraiment bien.»

C'est Flora Masella, coordonnatrice en récréologie, qui organise les activités, aidée en cela par des stagiaires du cégep ou de l'université, de même que par des bénévoles. «L'idée, c'est de rompre leur isolement.»

La Dre Ouimet note que les médecins savourent eux aussi ces journées spéciales. «Comme nous devons souvent prendre des décisions qui leur déplaisent - leur imposer par exemple un traitement qu'ils refusent avec l'aide des tribunaux -, les patients pensent souvent que les médecins sont contre eux. Alors les journées plus joyeuses où l'on voit que les patients sont plus détendus, plus disponibles, où des activités mettent de la vie là où il n'y avait plus de vie, ça fait du bien aux médecins aussi.»