Dans un rapport d'enquête confidentiel rédigé en mai et obtenu par La Presse, le Collège des médecins du Québec dresse une série de constats inquiétants sur la qualité des soins à l'Institut Philippe-Pinel.

L'enquête révèle notamment que l'établissement a partiellement perdu de vue sa vocation hospitalière en adoptant une approche carcérale, que les ressources sont parfois insuffisantes et que les installations sont vétustes.

Une série d'éléments qui sont « susceptibles de compromettre la qualité des soins prodigués dans cet établissement et de brimer le respect des droits fondamentaux de sa clientèle », conclut le rapport.

ÉTABLISSEMENT UNIQUE AU COEUR D'UNE ENQUÊTE

Hôpital psychiatrique spécialisé, l'Institut Philippe-Pinel accueille une clientèle mixte avec problèmes de violence. Jusqu'à 295 personnes peuvent y être hospitalisées. En 2014-2015, 80 % des patients traités étaient en détention, 11 % étaient hospitalisés de façon volontaire « sans charge ni mandat » et 9 % étaient des adolescents, des personnes sous garde en établissement ou en traitement involontaire. Une enquête a été ouverte par le Collège des médecins après des plaintes de patients estimant que leurs droits avaient été lésés. Accusée du meurtre de ses trois enfants, Sonia Blanchette, qui s'est laissée mourir de faim en janvier 2015, était du nombre. Dans une plainte formulée à l'endroit de l'Institut Philippe-Pinel, l'avocat spécialisé en défense des droits des patients Jean-Pierre Ménard déclarait que Sonia Blanchette y avait subi des « atteintes très graves à son droit [...] à des services de qualité » et « à son droit de porter plainte », notamment.

UN HÔPITAL, PAS UNE PRISON

Dans son rapport d'enquête, le Collège des médecins rappelle que la mission première de l'Institut Philippe-Pinel est d'être un hôpital et non pas une prison. Même si la majorité des cadres reconnaissent que l'Institut est d'abord un centre hospitalier, « des membres de la direction des services professionnels soutiennent que sa mission première est celle d'un service correctionnel et d'un centre de détention ». Une divergence qui a des répercussions sur les patients, selon l'enquête. 

Même si des mesures de sécurité doivent être adoptées à l'Institut Philippe-Pinel, le Collège des médecins estime qu'une « culture de la sécurité n'est pas une culture du contrôle » et que l'hôpital devrait prendre les moyens nécessaires pour que sa mission première soit acceptée par tous.

« NOUS SOMMES UNE PRISON »

Directeur des services professionnels à l'Institut Philippe-Pinel, le Dr Gilles Chamberland reconnaît que les difficultés recensées dans le rapport du Collège des médecins sont en partie causées par le double statut de l'établissement. « Oui, on est un hôpital. Mais à la base, on est une prison, martèle-t-il. La Cour d'appel l'a décidé. Ç'a a été construit au départ pour soigner des détenus. » Le Dr Chamberland explique qu'au fil des ans, des patients non détenus se sont ajoutés et représentent aujourd'hui environ 10 % de la clientèle. « On nous demande de distinguer détenus et non-détenus. Mais nous sommes un centre de détention », dit-il. Le Dr Chamberland mentionne par exemple que la nuit, toutes les portes des chambres sont verrouillées. « Ça ne respecte pas le droit des non-détenus. Mais on ne peut pas débarrer les portes de tout le monde la nuit. On doit assurer une sécurité », soutient-il. 

Pour Me Jean-Pierre Ménard, cette confusion des genres à l'Institut Philippe-Pinel est « incompréhensible ». Selon lui, il est clair que l'établissement est avant tout un hôpital. « Ils ont un permis de centre hospitalier en vertu de la loi [...]. Les gens qui vont à Pinel y vont avant tout pour être soignés, pas pour être détenus », dit-il. Me Ménard cite en exemple les gens jugés non criminellement responsables qui sont soignés à Pinel. Quand on est jugé comme ça, on est soigné dans un hôpital », note-t-il.

DES PLAINTES REJETÉES TROP VITE

Dans son rapport d'enquête, le Collège des médecins note que toutes les plaintes formulées par les patients de l'Institut Philippe-Pinel contre des médecins sont considérées comme non fondées par les deux médecins examinateurs en place.

Motifs de plainte contre les médecins les plus fréquents à l'Institut Philippe-Pinel :

Médication

Traitement contre le gré de la personne

Mesures d'encadrement

Attitude des médecins

Or, selon le comité d'enquête, « toutes les plaintes ne peuvent pas être non fondées ou être attribuables uniquement à l'état mental du patient ». Le Collège invite d'ailleurs l'Institut Philippe-Pinel à « améliorer l'écoute des besoins des patients et la qualité des soins qui leur sont prodigués » en utilisant les plaintes comme outil d'amélioration. Mais pour le Dr Chamberland, de nombreuses plaintes sont « formulées par des détenus qui se plaignent de leurs conditions de détention » et, à ce sujet, il est impossible pour l'Institut, selon lui, d'assouplir ces conditions.

MANQUE DE RESSOURCES

À de nombreux endroits dans le rapport d'enquête, le manque de ressources à l'Institut Philippe-Pinel est noté. On apprend par exemple que l'accès à des activités récréatives et thérapeutiques quotidiennes est régulièrement annulé pour cette raison. Que des heures de visite sont modifiées par « manque de ressources d'encadrement ».

On critique aussi le très faible ratio infirmière-patients. Une seule infirmière s'occupe de 18 à 21 patients à l'Institut Philippe-Pinel, alors que dans les autres établissements de santé mentale du réseau, une infirmière travaille auprès de 5 à 6 patients, est-il écrit. Le Dr Chamberland réplique que si le nombre d'infirmières est faible, l'Institut Philippe-Pinel compte plus de psychologues et de criminologues que les autres établissements du réseau.

DES INSTALLATIONS DÉSUÈTES

Le Collège des médecins note aussi que l'Institut Philippe-Pinel est vétuste. Les murs capitonnés d'une salle d'isolement sont « sales, tachés et nauséabonds ». La température des chambres est « souvent trop froide ou trop chaude ». Pour le Collège, « une grande partie des installations doit être modernisée à cause de sa vétusté ». L'Institut ressemble aussi à un milieu carcéral par sa construction, un élément qui devrait être modifié.

Le Dr Chamberland affirme que les installations de Pinel sont « vétustes, mais très fonctionnelles ». « Si on compare notre hôpital avec ce que ces patients recevraient comme soins s'ils étaient en prison, ils ont beaucoup plus ici », dit-il.

UN SUIVI ASSURÉ

Le Collège des médecins n'a pas voulu commenter le rapport, si ce n'est pour dire que « les recommandations ont été transmises aux autorités concernées et que le suivi du dossier est assuré avec le Collège ».

Le Dr Chamberland dit être en discussion avec différentes instances pour assurer le suivi des recommandations. « Mais pour certaines recommandations, comme débarrer les portes la nuit, nous avons dû dire non », dit-il.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) dit avoir pris connaissance des recommandations du rapport et effectuer le suivi approprié.