Au cours des cinq dernières années, il y a eu diminution de la durée moyenne des interventions auprès des patients recevant des soins à domicile à Montréal, révèlent de nouvelles données consultées par La Presse. Alors qu'en 2011-2012, les auxiliaires, préposés et infirmières à domicile consacraient en moyenne 55 minutes par intervention, en 2015-2016, cette action a chuté à 48 minutes. Et pour les premiers mois de 2016-2017, la durée moyenne d'intervention atteint à peine les 44 minutes.

Cette baisse dans la durée d'intervention survient alors que la demande pour du soutien à domicile ne cesse d'augmenter. Depuis cinq ans, le nombre d'interventions a augmenté de 39 % dans les CLSC de Montréal. « C'est simple : on doit faire plus avec moins », affirme la présidente de la Fédération de la santé du Québec (FSQ-CSQ), Claire Montour.

« Les [besoins des] usagers en soins à domicile sont de plus en plus lourds. Mais il faut faire de plus en plus vite. Cette tendance à la productivité à tout prix a un coût », dénonce le vice-président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), Guy Laurion.

Pour le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, cette baisse du temps d'intervention est plutôt la preuve que le réseau est de plus en plus efficace. Le ministre souligne que dans le passé, le réseau de la santé était plus « lousse » dans les évaluations des services requis par les usagers du soutien à domicile. « Nous sommes plus rigoureux dans nos analyses. Car notre défi est de donner le plus de services, au plus de monde possible », affirme M. Barrette.

Le ministre ajoute qu'au cours des dernières années, le budget en soutien à domicile n'a cessé d'augmenter, de même que le nombre d'usagers qui en bénéficient.

Dépenses en soutien à domicile au Québec (MSSS)

2010-2011 : 1 060 136 907 $

2011-2012 : 1 116 826 567 $

2012-2013 : 1 174 492 995 $

2013-2014 : 1 264 451 330 $

2014-2015 : 1 338 702 459 $

2015-2016 (préliminaire) : 1 351 901 499 $

Mais pour Mme Montour, cette recherche d'efficacité pousse les directions d'établissement à mettre beaucoup de pression sur les travailleurs pour réduire leur temps d'intervention. « Le personnel paye le prix de leur santé. On leur met une pression énorme pour entrer dans les temps. Il faut que ça cesse », dit-elle.

« La conséquence pour le personnel est l'épuisement professionnel. Pour les patients, c'est la quantité et la qualité des soins qui écopent. Il n'y a plus de jus dans le système. Il faut arrêter de lui tordre les bras », affirme M. Laurion.

Devant la hausse de la demande en soutien à domicile, de plus en plus de CLSC ont eu recours à du personnel d'agences privées pour offrir les services. En 2011, 29 % des interventions étaient confiées à ces employés, contre 32 % aujourd'hui.

Mme Montour indique que de plus en plus d'infirmières quittent leurs fonctions en soins à domicile, insatisfaites de leurs conditions de pratique. « Elles sont constamment surveillées, pressées dans le temps. Plusieurs quittent. Mais la demande est là », dit-elle.

LES QUARTIERS PAS TOUS ÉGAUX

Les citoyens de Montréal ne sont pas tous égaux quand vient le temps de parler de soutien à domicile, révèlent les statistiques disponibles sur le site de l'Espace montréalais d'information sur la santé. Alors que sur le territoire de l'ancien Centre de santé et de services sociaux (CSSS) de l'Ouest-de-l'Île, la durée moyenne d'intervention atteint 52 minutes, elle est de 31 minutes dans le Sud-Ouest-Verdun.

Durée moyenne d'une intervention par territoire en soutien à domicile (minutes)

CSSS de l'Ouest-de-l'Île 52,1

CSSS Dorval-Lachine-LaSalle 35,6

CSSS Sud-Ouest-Verdun 30,7

CSSS Pointe-de-l'Île 42,3

CSSS Lucille-Teasdale 40,3

CSSS Saint-Léonard-Saint-Michel 39,0

CSSS de la Montagne 42,0

CSSS Cavendish 49,6

CSSS Jeanne-Mance 36,4

CSSS Bordeaux-Cartierville - Saint-Laurent 44,6

CSSS Coeur-de-l'Île 39,6

CSSS Ahuntsic-Montréal-Nord 45,3

Ces fluctuations s'expliquent par le type de clientèle desservie par les CLSC. Mais peu importe le territoire étudié, la durée moyenne des interventions en soutien à domicile a diminué depuis cinq ans, note Mme Montour.

LES AÎNÉS TOUCHÉS

Différentes clientèles reçoivent du soutien à domicile, dont des personnes présentant une déficience physique ou intellectuelle et des personnes âgées en perte d'autonomie. Ces dernières ne sont pas épargnées par les baisses du temps moyen par intervention. Le nombre d'interventions auprès des aînés vulnérables a augmenté de 48 % depuis cinq ans pour atteindre 2 916 086 en 2015-2016. Pendant ce temps, la durée moyenne d'intervention a chuté de 18 % et s'élève à 44 minutes.

« Cette clientèle est la plus pénalisée par la diminution du temps d'intervention. On coupe un bain par semaine ici, un autre soin là... On restreint leur plateau de services », dénonce Mme Montour, pour qui la situation est « injuste et témoigne d'un manque total de respect pour les patients ».

Le ministre Barrette réplique que le réseau de soutien à domicile a été « réorganisé pour être plus efficace ». « On combine par exemple deux services en une visite, comme le lavage et le ménage [...] On a à prendre la bonne décision pour donner le plus au maximum de gens possible. On ne le fait pas pour écoeurer le monde, mais pour être plus efficace. »

Lors de la mise à jour budgétaire en octobre, le gouvernement a annoncé qu'il investirait 100 millions de plus cette année et 300 millions de plus l'an prochain en santé. Une bonne partie de ces sommes doit être consacrée aux soins à domicile. La somme exacte dépendra en partie des transferts fédéraux en santé, qui sont encore en négociations. Une décision qui sera « cruciale », selon M. Barrette.

Pour Mme Montour, cette annonce d'investissement du ministre n'est que de la « poudre aux yeux ». « On a fait des compressions de 1,6 milliard en santé. Et là, on ajoute 300 millions... On a enlevé beaucoup plus que ce que l'on va remettre. Faire croire le contraire est un spectacle », dit-elle.

- Avec la collaboration de Thomas de Lorimier, La Presse