Nouvelle querelle fédérale-provinciale en santé : Ottawa choisira dorénavant sans l'accord du Québec les programmes de traitement de l'alcoolisme et de la toxicomanie qu'il financera, a appris La Presse.

Si le gouvernement Couillard juge cette décision « irrecevable pour le Québec », le gouvernement Trudeau justifie sa décision de ne pas renouveler l'accord bilatéral de financement Ottawa-Québec par le fait qu'environ 10 % des sommes versées par le fédéral au Québec au cours des dernières années n'étaient pas distribuées aux organismes venant en aide aux toxicomanes.

Depuis 2008, Ottawa s'entendait avec Québec sur les projets de traitement de l'alcoolisme et de la toxicomanie à financer. Le fédéral garantissait aussi au Québec un financement lié au prorata de sa population. Ottawa choisira maintenant seul les projets qu'il financera, et aucune somme ne sera garantie à une province au prorata de sa population.

UNE APPROCHE « IRRECEVABLE »

Le gouvernement Couillard s'oppose à cette décision du gouvernement Trudeau « d'intervenir directement et unilatéralement dans le choix des projets » et dénonce cette approche « malheureusement irrecevable pour le Québec » dans une lettre du 15 septembre à la ministre fédérale de la Santé Jane Philpott, laquelle a été obtenue par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

« Compte tenu de la volonté et de la pratique usuelle du gouvernement du Québec d'exercer lui-même ses responsabilités dans les domaines qui relèvent de sa compétence, notamment en matière de santé et de services sociaux, le Québec considère qu'il est le mieux placé pour utiliser à bon escient le financement fédéral dédié aux problèmes reliés à l'alcoolisme et à la toxicomanie sur son territoire, et ce, de façon à répondre aux besoins de la population québécoise selon les priorités et orientations qu'il aura lui-même déterminées », écrivent les ministres québécois Gaétan Barrette et Lucie Charlebois à leur homologue fédérale Jane Philpott.

DE L'ARGENT NON VERSÉ

Ottawa, qui a avisé les provinces de sa décision en février dernier, veut un programme plus efficace que les ententes bilatérales. Le gouvernement fédéral fait valoir qu'environ 10 % des fonds fédéraux disponibles pour le Québec n'ont pas été distribués aux organismes en question au cours des dernières années (le fédéral a gardé l'argent non versé). En 2015-2016, cette somme aurait représenté environ 190 000 $ sur le financement fédéral disponible de 1,9 million pour le Québec.

« Nous comprenons les préoccupations [du Québec], mais les changements ont été implantés pour améliorer l'efficacité et les résultats. Il fallait du temps pour approuver à quels organismes l'argent serait distribué », dit Andrew MacKendrick, attaché de presse de la ministre fédérale de la Santé Jane Philpott. 

« En moyenne, 10 % des fonds n'étaient pas distribués [au Québec]. Même si 1,9 million était accordé [au Québec], ce n'était pas la somme totale qui allait aux programmes. » - Andrew MacKendrick, du ministère fédéral de la Santé

Ni Ottawa ni Québec n'étaient en mesure hier de fournir davantage de détails sur les sommes versées par Ottawa à Québec qui n'auraient pas été distribuées aux organismes choisis (environ 190 000 $ par an).

À l'échelle nationale, Ottawa consacre 26,3 millions par an (en 2015-2016) au traitement de la toxicomanie et de l'alcoolisme par le truchement du Programme sur l'usage et les dépendances aux substances. Le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies, un organisme national, a obtenu 14,6 millions, et les 11,7 millions restants ont été distribués aux provinces au prorata de leur population. Selon le nouveau programme fédéral, les provinces pourront soumettre leurs demandes au même titre que les organismes.

QUÉBEC ESPÈRE TOUJOURS

Le gouvernement du Québec consacre 114 millions par an à la prévention et au traitement de l'alcoolisme et de la toxicomanie. Dans sa lettre à la ministre Philpott, le gouvernement Couillard rappelle qu'Ottawa a longtemps financé environ « 50 % des dépenses admissibles du programme québécois de traitement et de réadaptation en matière d'alcoolisme et de toxicomanie ».

En 2008, le gouvernement Harper a décidé de conclure des ententes bilatérales avec Québec. « Bien que le Québec ait dénoncé ces changements, devant l'inflexibilité du gouvernement fédéral, il a accepté de conclure des ententes Canada-Québec sur ces bases afin notamment de ne pas pénaliser les clientèles touchées par des problèmes d'alcoolisme ou de toxicomanie », écrivent les ministres québécois Gaétan Barrette et Lucie Charlebois.

Même si le gouvernement Trudeau dit que sa décision est prise, Québec espère le faire changer d'idée avant l'entrée en vigueur du nouveau programme, le 1er janvier prochain. Québec se dit « en discussions [avec Ottawa] pour le prolongement de l'entente [actuelle] par appels de projets », indique le cabinet de la ministre déléguée à la Santé publique Lucie Charlebois.

- Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse