La ressource intermédiaire L'Orchidée 2 de Montréal, qui accueillait des personnes lourdement handicapées, a fermé ses portes en avril dernier parce que les usagers y étaient laissés à eux-mêmes. Un rapport troublant de la protectrice du citoyen laisse planer des doutes sur la qualité du processus de surveillance des ressources intermédiaires, qui accueillent des clientèles parmi les plus vulnérables du réseau de la santé. L'Association des ressources intermédiaires d'hébergement du Québec réclame elle-même plus d'encadrement, ajoutant que le financement actuel est inadéquat pour répondre aux besoins des usagers.

Inquiet d'entendre régulièrement crier les résidants d'une ressource intermédiaire de Montréal, un citoyen a porté plainte auprès du Protecteur du citoyen en juillet 2015. Malgré le manque de supervision chronique des usagers de cet établissement, il s'est écoulé plus d'un an avant qu'il ne ferme. Le rapport du Protecteur soulève des questions sur l'efficacité de la surveillance des 3700 ressources intermédiaires du Québec, qui accueillent près de 33 000 personnes parmi les plus vulnérables du réseau de la santé.

En juillet 2015, la protectrice du citoyen a reçu un signalement mentionnant que les six usagers de la ressource intermédiaire L'Orchidée 2 criaient régulièrement, ne pouvaient sortir à l'extérieur et que le personnel ne leur donnait pas à boire durant la période estivale. Depuis mars 2015, L'Orchidée 2 était liée par contrat au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal.

Ce CIUSSS confiait à L'Orchidée 2 six résidants âgés d'une cinquantaine d'années et présentant une déficience intellectuelle et physique profonde. «Aucun d'entre eux n'a l'usage de la parole, et un seul peut communiquer au moyen de pictogrammes et du langage des signes», peut-on lire dans le rapport de la protectrice du citoyen.

Premières interventions

Dès la réception du signalement, la protectrice a alerté le CIUSSS qui a envoyé des représentants à L'Orchidée 2. Ceux-ci ont dressé une liste de constats dérangeants. Des employés ont notamment rapporté qu'un résidant «a dû attendre 20 minutes pour qu'on l'aide à se rhabiller après qu'il soit passé à la toilette» et qu'une autre «portait une robe de nuit souillée au moment du repas». On a noté la présence d'une ecchymose sur le visage d'un usager sans explications de la part de la propriétaire. Les représentants du CIUSSS ont également constaté que la ventilation ne fonctionnait pas dans l'édifice où la température atteignait 27 degrés Celsius.

En octobre 2015, le CIUSSS a adopté un «plan de correction» pour aider L'Orchidée 2 à s'améliorer. Après cette première intervention, «de nettes améliorations» ont été réalisées, a constaté la protectrice. Celle-ci a tout de même décidé d'intervenir à L'Orchidée 2 et même d'étendre son enquête à L'Orchidée 1, une autre ressource intermédiaire appartenant à la même propriétaire et accueillant huit personnes souffrant de déficience intellectuelle.

Des résidants laissés à eux-mêmes

Lors de visites dans les deux ressources en février et en mars 2016, la protectrice du citoyen a noté que certaines lacunes perduraient à L'Orchidée 2. Les usagers étaient très peu stimulés pour des activités et sortaient peu à l'extérieur. Une seule employée se trouve la majorité du temps à L'Orchidée 2 pour s'occuper de six résidants. Trop peu nombreux, le personnel «tardait à intervenir ou à encadrer certains usagers lors de comportements impulsifs comme se frapper sur les murs». Des usagers se retrouvent également «seuls et sans supervision, au salon, pendant des périodes de plus de 45 minutes».

«En somme, ces faits démontrent qu'étant donné la complexité des besoins des usagers, le nombre d'employés disponibles pour assurer l'ensemble de leurs obligations n'est pas suffisant et il en résulte des manquements importants dans la satisfaction des besoins et le respect des droits des usagers.» - Extrait du rapport de la protectrice du citoyen

Contrôle de qualité insuffisant

L'Orchidée 2 a finalement été fermée le 22 avril dernier. L'Orchidée 1 est, quant à elle, restée ouverte puisque la qualité des soins y était assurée.

Pourquoi avoir attendu un signalement à la protectrice du citoyen pour agir? Le CIUSSS du Centre-Sud-de-l'Île-de-Montréal affirme avoir «agi avec diligence dans les délais prescrits». Mais pour la présidente de l'Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées et préretraitées (AQDR), Judith Gagnon, voici la preuve que le contrôle de qualité dans les ressources intermédiaires est «nettement déficient». «On confine des gens parmi les plus vulnérables dans ces établissements. Il devrait y avoir un contrôle accru. Je ne comprends pas que ce ne soit pas fait.»

Mme Gagnon espérait qu'après l'épisode du «Pavillon Marquette», le gouvernement aurait «appris de ses erreurs». En novembre 2010, le gouvernement avait fermé d'urgence le Pavillon Marquette, une ressource intermédiaire de Montréal qui accueillait 14 personnes en perte d'autonomie. Les résidants y étaient affamés et malpropres. Un rapport d'enquête avait critiqué fortement le manque d'intervention du réseau de la santé dans ce dossier. «Qu'est-ce que ça va prendre pour qu'on s'améliore?», demande Mme Gagnon.

À travers les réformes

Dans son rapport, la protectrice du citoyen souligne que «l'harmonisation des pratiques de suivi de la qualité des services offerts en ressource intermédiaire» est un «enjeu de taille compte tenu de la vulnérabilité de la clientèle».

Directrice générale de l'Association des ressources intermédiaires d'hébergement du Québec (ARIHQ), Johanne Pratte souligne que le réseau de la santé a subi plusieurs réformes ces derniers mois. Les travailleurs chargés d'évaluer les besoins de la clientèle des ressources intermédiaires «changent constamment». «Mais pour bien évaluer les usagers et leurs besoins, pour leur trouver la bonne ressource intermédiaire, il faut très bien les connaître. Avec ces changements constants, c'est plus difficile», estime Mme Pratte, qui ajoute que les propriétaires de ressources intermédiaires réclament eux-mêmes depuis longtemps des «règles et balises claires».

Au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), on explique que le contrôle de la qualité des ressources intermédiaires se fait en deux temps. Les CISSS de chaque territoire évaluent chacune de leurs ressources.

«Quand une ressource problématique est ciblée, un plan de correction doit être établi. Si aucune amélioration n'est notée, une "enquête administrative" peut ensuite être tenue et mener à une fermeture de la ressource» - Karine White, porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux

Dans son rapport, la protectrice du citoyen estime qu'il faudrait «mieux définir ce qui relève du plan de corrections et ce qui justifie la tenue d'une enquête administrative».

Le MSSS se rend également dans les ressources intermédiaires pour évaluer «les pratiques administratives» des CISSS en lien avec le contrôle de qualité de ces milieux. Un projet pilote pour mieux évaluer la qualité des services en ressources intermédiaires est aussi en préparation au MSSS. «Malgré toutes ces interventions, des ressources où les usagers manquent de services peuvent rester ouvertes pendant plus d'un an. Il faut que ça change», plaide Mme Gagnon.

Note : comme pour toute ressource intermédiaire de la province, le réseau de la santé a refusé de divulguer l'adresse de la ressource intermédiaire L'Orchidée 2 à La Presse, même si celle-ci est fermée, affirmant vouloir «protéger l'adresse des usagers».

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Qu'est-ce qu'une ressource intermédiaire?

C'est une résidence privée qui signe un contrat avec un établissement de santé public pour accueillir une clientèle. Les usagers qui y sont hébergés peuvent être des personnes âgées en perte d'autonomie, des personnes souffrant de déficience intellectuelle ou de déficience physique.

Nombre de ressources intermédiaires au Québec :

Déficience intellectuelle : 1258

Perte d'autonomie liée au vieillissement : 383

Déficience physique : 52

Adultes : 1833

Enfants : 211

Dépendances : 2

Clientèle desservie par les RI : 32 709 personnes