Les médecins québécois administrant l'aide médicale à mourir doivent procéder en faisant fi des indications de Santé Canada, même si la pratique est désormais légalisée par les gouvernements provincial et fédéral, a appris La Presse.

Les médicaments dont l'utilisation est recommandée dans le protocole élaboré par les ordres professionnels de la province pour guider les praticiens concernés n'ont pas été approuvés formellement pour un tel usage.

Et la situation ne risque pas de changer de sitôt, puisque les fabricants des produits énumérés dans le guide ne manifestent nullement l'intention de solliciter Santé Canada pour faire approuver une telle utilisation.

L'absence d'indications médicamenteuses relatives à l'aide médicale à mourir est un faux problème puisque les médecins qui appliquent le protocole ont le droit de procéder « hors indication » s'ils jugent la chose appropriée, relève le président du Collège des médecins, Charles Bernard.

C'est le Collège des médecins, et non Santé Canada, qui régit la pratique professionnelle au Québec et est susceptible de sanctionner les médecins en cas de faute, indique-t-il. En mettant de l'avant un protocole précis, l'ordre professionnel a balisé la marche à suivre.

« L'utilisation hors indication est toujours exceptionnelle. Il n'y a pas de médecin qui va régulièrement utiliser un médicament à des fins, ou à des doses, qui ne sont pas reconnues. »

- Le DCharles Bernard, président du Collège des médecins

Les sociétés pharmaceutiques ne peuvent officiellement cautionner publiquement l'utilisation hors indication de leurs produits pour l'administration de l'aide médicale à mourir sans encourir des sanctions.

Les trois sociétés qui fabriquent au Canada les produits cités dans le protocole québécois - Pfizer, Sandoz et Fresenius Kabi - se montrent en conséquence réservées à ce sujet.

Sandoz, qui produit deux médicaments du protocole - le midazolam, un anxiolytique, et le phénobarbital, un barbiturique -, indique qu'elle vend ses produits uniquement pour « les utilisations approuvées par Santé Canada ». Or, l'euthanasie et le suicide assisté ne figurent pas parmi ces indications.

L'entreprise affirme du même coup qu'elle « n'a pas l'intention d'effectuer une surveillance sur l'utilisation de ces produits car elle fait confiance aux processus établis par les autorités réglementaires et au jugement clinique des professionnels de la santé ».

PAS DE DEMANDE DES FABRICANTS

Pfizer Canada - qui fabrique aussi deux produits figurant dans le protocole québécois, le midazolam et le propofol, un anesthésique - affirme qu'elle n'entend pas demander « l'approbation de Santé Canada pour l'utilisation de ces médicaments dans un contexte d'aide médicale à mourir ».

Elle précise également que « la décision de recourir aux médicaments » dans un tel contexte « revient aux professionnels de la santé et de leurs patients » dans le respect de la loi canadienne récemment adoptée à ce sujet.

En bref, la firme ne cautionne pas l'usage de ces produits « hors indication », mais elle n'entend pas prendre de mesures pour empêcher leur utilisation pour l'aide médicale à mourir. « La décision revient aux professionnels de la santé. La porte est ouverte », relève Vincent Lamoureux, directeur canadien des affaires de Pfizer.

Il y a quelques mois, l'entreprise avait annoncé publiquement qu'elle s'opposait à l'utilisation de ses produits, dont le midazolam et le propofol, pour l'application de la peine de mort et qu'elle renforcerait ses contrôles à ce sujet.

La peine de mort et l'aide médicale à mourir sont « deux sujets complètement différents » qu'il ne faut pas confondre, note M. Lamoureux.

Fresenius Kabi, autre géant pharmaceutique qui produit aussi au Canada du midazolam et du propofol, ne prend pas position sur les questions éthiques et légales soulevées par l'aide médicale à mourir.

La décision d'utiliser ces médicaments, note le porte-parole de l'entreprise, Matt Kuhn, « doit être prise par les patients et leur famille avec les professionnels médicaux et d'autres conseillers ».

« Nous ne refuserions pas de fournir des produits médicaux à des professionnels dûment licenciés qui traitent des patients ayant demandé l'aide médicale à mourir dans des régions où cette pratique est légale. » - Matt Kuhn, porte-parole de la société pharmaceutique Fresenius Kabi

Santé Canada ne peut décider de son propre chef de revoir les indications prévues pour les médicaments recommandés pour l'aide médicale à mourir. « On ne le fait pas proactivement », relève le porte-parole de l'organisation, Eric Morrissette, en précisant que c'est aux fabricants de le demander.

L'organisation régulatrice, dit-il, recense les réactions adverses aux médicaments et pourrait être appelée ultimement à intervenir si des problèmes surviennent avec le protocole recommandé par le Collège des médecins.

Le DBernard note de son côté que le protocole a été élaboré par des médecins spécialistes, qui connaissent très bien l'effet des médicaments recommandés, et qu'il doit être administré en présence d'un praticien et d'une infirmière, par voie intraveineuse, de manière à éviter tout dérapage.

Des dizaines de personnes ayant demandé l'aide médicale à mourir ont été accompagnées efficacement par des médecins à l'aide du protocole au cours des derniers mois, relate-t-il.