L'Institut Philippe-Pinel de Montréal qui, de son propre aveu, peine à trouver l'équilibre entre la sécurité et l'humanisation des soins, agit illégalement avec ses patients, dénonce la protectrice du citoyen.

La nuit, l'hôpital psychiatrique, dont environ 85% de la clientèle provient du milieu carcéral, enferme systématiquement tous les patients dans leur chambre, «y compris ceux qui ont terminé le parcours judiciaire et qui sont en attente d'une place d'hébergement adapté», révèle une enquête du bureau de la protectrice du citoyen.

Selon Raymonde Saint-Germain, il s'agit d'une pratique «contraire à toutes les lois». «Je trouve inacceptable que par commodité administrative, parce que notamment on manque de ressources, on prenne des mesures systématiques toute la nuit», affirme-t-elle. 

La protectrice du citoyen a publié hier une partie des résultats d'une enquête menée il y a quelques mois à Pinel en réaction à un reportage de La Presse selon lequel le nombre d'employés blessés par des patients avait atteint un sommet dans l'établissement l'an dernier. Le Dr Gilles Chamberland, directeur des services professionnels de l'Institut, expliquait dans nos pages que l'équilibre entre la sécurité et le désir de donner le plus de liberté aux patients est difficile à trouver dans un endroit comme Pinel, où des criminels côtoient des patients non judiciarisés, transférés par d'autres hôpitaux.

«Il y a des groupes de pression qui voudraient que nos patients ne soient pas considérés comme des détenus, jamais, disait-il. Qu'ils ne soient considérés que comme des patients. Qu'on applique les règles qui s'appliquent aux patients dans tous les hôpitaux psychiatriques. Mais malheureusement, on a des détenus [à Pinel]. On ne peut pas faire ça.»

Le respect de la loi

De son côté, Raymonde Saint-Germain est formelle: que ce soit pour des raisons de sécurité ou de commodité, l'établissement ne peut pas continuer à verrouiller les portes de tout le monde la nuit.

Cela ne veut pas dire de laisser de dangereux criminels errer dans les couloirs une fois la nuit tombée.

«On ne dit pas de laisser toutes les portes déverrouillées en tout temps. Le respect de la loi, c'est de demander: est-ce que la personne présente un degré de dangerosité pour elle-même ou pour autrui, après une évaluation psychiatrique fine? La réponse n'est pas oui pour 85% des personnes [proportion des personnes issues du milieu carcéral].» 

«Il faut s'assurer que les personnes dangereuses sont celles qui font l'objet des mesures d'isolement et non pas systématiquement priver toutes les personnes détenues dans cet hôpital», dit Mme Saint-Germain.

Est-ce que le fait de donner plus de liberté aux patients ne risque pas d'augmenter encore plus les gestes violents contre des employés?

Lundi, le Dr Chamberland laissait entendre que l'établissement était peut-être allé un peu trop loin.

«C'est un balancier. Là, le balancier était du côté: donnez-leur le plus de liberté possible. Mais à un moment, ça revient par le biais de ce qu'on voit maintenant. Notre personnel est à risque. Il y a plus d'accidents. Il faut être prudent. Le fait que le nombre de blessés ait augmenté, ça nous rappelle que tous nos patients sont potentiellement dangereux et qu'il faut faire attention», a-t-il dit.

Mme Saint-Germain n'est pas de cet avis. D'abord, dit-elle, il s'agit de faire respecter les droits des patients, pas de leur en donner plus. «Pinel n'est pas au-dessus de la loi. Aucun psychiatre n'est au-dessus de la loi.»

Elle ajoute que l'Institut a à sa disposition tous les outils pour maîtriser les patients dangereux.

«Je suis totalement étonnée que des employés aient été agressés de cette manière-là alors que Pinel a toutes les possibilités lorsque l'évaluation démontre la dangerosité de garder les personnes en isolement, voire en contention.»

Discussions avec québec

La direction de Pinel a reçu les conclusions de l'enquête de la protectrice du citoyen. Des discussions sont en cours à ce sujet avec le ministère de la Santé et des Services sociaux.

«Rappelons que nous sommes un hôpital à sécurité maximum qui traite des patients avec des statuts particuliers [des patients qui ont en commun un haut potentiel de dangerosité et de violence]. Comme le Dr Chamberland vous l'a sans doute dit, à la base, notre hôpital a été pensé et construit pour recevoir des patients provenant des milieux carcéraux. Nous ne sommes pas un hôpital ordinaire: nous sommes un établissement hybride [hospitalier/carcéral]. Nous devons prendre les moyens et mesures nécessaires pour offrir des soins de qualité, tout en respectant notre mandat premier, soit la sécurité de tous», a dit la porte-parole Julie Benjamin.

Selon des chiffres publiés hier par La Presse et obtenus en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, 54 employés ont été blessés par des patients en 2015, contre 18 en 2006 et 35 en 2010. On parle ici de morsures, d'égratignures, de contusions au visage ou au corps, d'ecchymoses, de lacérations et de douleurs de toutes sortes. Un employé a même perdu connaissance après avoir reçu un coup à la tête.