Ce qui devait être une rencontre de routine a fini dans les coups et le sang, en avril, dans une aile de l'Institut Philippe-Pinel de Montréal.

Un médecin devait annoncer à un patient une décision du tribunal. On s'attendait à ce qu'il réagisse mal, mais pas autant. La psychiatre est entrée dans la chambre pour lui parler. Elle a été accueillie par des coups de poing. Un autre employé a accouru pour lui porter secours, mais il n'a pas réussi à maîtriser le patient. Il a cru qu'il allait mourir. Le patient, qui est à Pinel sous un ordre de la cour, lui a infligé sept fractures au visage, dont au nez et à l'arcade sourcilière, avant de prendre la fuite. Il a fallu plusieurs personnes pour finalement le clouer au sol. Il y avait du sang partout sur le plancher.

Des agressions comme celle-ci, bien qu'elles soient généralement moins violentes, il y en a eu des dizaines l'an dernier entre les murs de l'établissement de santé, qui accueille notamment les criminels psychiatrisés les plus redoutables de la province. Selon des chiffres obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, 54 employés ont été blessés par des patients en 2015, contre 18 en 2006 et 35 en 2010. On parle ici de morsures, d'égratignures, de contusions au visage ou au corps, d'ecchymoses, de lacérations et de douleurs de toutes sortes. Un employé a même perdu connaissance après avoir reçu un coup à la tête.

La direction ne conteste pas les chiffres.

«Les agressions sont quand même plus sévères et il y a plus de gens qui se font blesser» , affirme le Dr Gilles Chamberland, directeur des services professionnels à l'Institut Philippe-Pinel

La Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) a d'ailleurs dû intervenir plusieurs fois dans les dernières années à Pinel, notamment lors de l'incident d'avril. Selon son rapport, la procédure de sécurité prévue lors d'entrevues avec des patients n'aurait pas été appliquée.

Depuis deux ans, des employés ont, à plus d'une reprise, carrément refusé de travailler parce qu'ils avaient peur d'être attaqués, révèlent plusieurs rapports de la CNESST obtenus par la Loi sur l'accès à l'information.

Détenus ou patients?

À la fois prison et hôpital, l'Institut Philippe-Pinel accueille depuis longtemps des contrevenants, des gens qui ont été reconnus non criminellement responsables de leurs crimes et des malades hospitalisés à la suite d'un ordre de la cour, entre autres. Pourquoi, alors, une telle hausse du nombre d'incidents violents?

Depuis quelques années, l'établissement fait l'objet de «grosses pressions» pour humaniser les soins aux patients.

Il y a eu un recours collectif. Le Protecteur du citoyen a reçu de nombreuses plaintes. L'an dernier, le Collège des médecins du Québec et l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec ont ouvert une enquête sur la qualité des soins et des services offerts et sur les droits des patients. Leur rapport serait d'ailleurs terminé, a-t-on appris.

Sensibilisés par toutes ces interventions, mais aussi « parce que ça fait partie de [leur] travail », selon Gilles Chamberland, les médecins tentent d'être moins restrictifs avec les patients, sur le plan des contentions physiques, par exemple. «Notre but, c'est que ces gens-là deviennent des personnes qu'on peut réintégrer dans la société», d'où l'assouplissement graduel des mesures de sécurité.

Mais jusqu'où peut-on aller sans compromettre la sécurité des employés et des autres patients dans un endroit comme Pinel, où des criminels côtoient des malades non judiciarisés, transférés par d'autres hôpitaux? L'équilibre est difficile à trouver, admet la direction.

«Il y a des groupes de pression qui voudraient que nos patients ne soient pas considérés comme des détenus, jamais, explique le Dr Chamberland. Qu'ils ne soient considérés que comme des patients. Qu'on applique les règles qui s'appliquent aux patients dans tous les hôpitaux psychiatriques. Mais malheureusement, on a des détenus [à Pinel]. On ne peut pas faire ça.»

Trop de liberté?

Pinel est-il allé trop loin dans sa volonté de donner plus de liberté à ses patients? À voir le nombre de blessures, peut-être que oui, répond le Dr Chamberland. «C'est un balancier. Là, le balancier était du côté: donnez-leur le plus de liberté possible. Mais à un moment, ça revient par le biais de ce qu'on voit maintenant. Notre personnel est à risque. Il y a plus d'accidents. Il faut être prudent. Le fait que le nombre de blessés ait augmenté, ça nous rappelle que tous nos patients sont potentiellement dangereux et qu'il faut faire attention.»

«Quand la société nous confie ces gens, notre rôle, c'est de les soigner, mais c'est aussi de les responsabiliser et de les réadapter. Un peu comme ce que font les centres de détention quand ils réadaptent les gens. Ce n'est plus juste des soins.»

Le président du syndicat des travailleurs, Sylvain Lemieux, se dit «tout à fait d'accord» avec les propos du Dr Chamberland.

«Selon nous, la réhabilitation des patients de Pinel ne peut se faire que si les employés travaillent en sécurité. Ces dernières années, il y a une augmentation du nombre de blessés qui nous inquiète. Il y a beaucoup de travailleurs qui quittent l'Institut, car le milieu est de plus en plus dangereux, surtout depuis que nous avons subi des coupures imposées par le Ministère, au cours des dernières années.»

La solution «réside en partie par le rétablissement des postes coupés au niveau du personnel clinique et sécuritaire à l'Institut. De plus, nous avons mentionné à la CSST [maintenant la CNESST] qu'il y a un problème au niveau de la considération des observations comportementales faites par les employés, car elles sont souvent atténuées. D'ailleurs, les inspecteurs de la CSST nous ont fait remarquer que l'employeur, mais aussi les médecins [depuis 2009] sont assujettis à la Loi sur la santé et la sécurité au travail (LSST) et ils ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs», explique M. Lemieux.

- Avec la collaboration de William Leclerc