Le débat déjà vif en cours au pays relativement à la légalisation de l'aide médicale à mourir risque de se corser en raison des réticences manifestées par de grands acteurs de l'industrie pharmaceutique.

La division canadienne de Sandoz, qui fabrique deux des produits recommandés dans le guide d'exercice suivi au Québec pour l'administration de l'aide médicale à mourir, a indiqué hier à La Presse qu'elle les vend « uniquement » pour « les utilisations approuvées par Santé Canada ».

Or, ces indications « n'incluent pas leur utilisation pour le suicide assisté ou l'euthanasie », a souligné l'entreprise dans un courriel citant le midazolam, un anxiolytique, et le phénobarbital, un barbiturique pouvant être utilisé pour induire un coma.

Sandoz, qui n'est pas le seul producteur de ces médicaments au pays, n'a pas précisé si elle entendait mettre en place des mesures de contrôle spécifiques pour éviter que sa production ne soit utilisée dans un tel contexte.

Pfizer Canada, qui fabrique également deux des produits recommandés au Québec pour l'administration de l'aide médicale à mourir, soit le midazolam et le propofol, un anesthésique pouvant aussi servir à induire un coma, a indiqué hier qu'elle « n'avait pas encore arrêté sa position » quant à l'utilisation de ses produits à de telles fins.

« Nous continuons notre réflexion sur cette question en fonction de l'évolution juridique et politique de la situation alors que le débat se poursuit au Canada », a noté hier le directeur canadien des affaires de l'entreprise, Vincent Lamoureux.

Une autre société identifiée dans la banque de données sur les médicaments de Santé Canada comme un producteur de midazolam et de propofol, Fresenius Kabi, a indiqué hier qu'elle n'avait « pas de commentaires » à faire pour l'instant sur le dossier.

Peine de mort

Diverses sociétés pharmaceutiques d'envergure ont adopté des mesures de contrôle sévères aux États-Unis au fil des ans pour ne pas être associées à l'application de la peine de mort.

Ces mesures ont eu pour effet de restreindre l'accès à certains produits utilisés dans des interventions de suicide assisté dans les États de l'Oregon et de Washington, même si les entreprises n'ont pas pris position sur ce sujet précis.

C'est le cas notamment pour le pentobarbital, un anesthésiant qui n'est pas offert au Canada.

Akorn Pharmaceuticals, qui fabrique le produit aux États-Unis, refuse qu'il soit utilisé dans les prisons pour l'application de la peine capitale et surveille de près sa distribution.

La firme n'a cependant pas de position arrêtée sur la question du suicide assisté ou de l'euthanasie et ne prend pas de mesures spécifiques pour contrôler la manière dont il est utilisé dans les établissements de santé, a précisé hier une relationniste, Stephanie Carrington.

Pfizer a annoncé il y a quelques jours qu'elle entendait, dans la même veine, resserrer ses contrôles aux États-Unis de divers produits qui ont été utilisés par les autorités carcérales pour procéder à des exécutions par injection létale. Le propofol et le midazolam figurent dans la liste rendue publique.

« L'utilisation de nos produits pour la peine de mort, au sujet de laquelle Pfizer a pris une position mondiale claire, est un enjeu différent de l'aide médicale à mourir», estime Vincent Lamoureux, directeur canadien des affaires de Pfizer.

Le porte-parole de Pfizer Canada a précisé que l'entreprise n'avait pas été consultée par le gouvernement québécois dans le cadre de l'élaboration de la loi sur l'aide médicale à mourir, qui est entrée en vigueur à la fin de l'année dernière.

Les ordres professionnels des médecins, des pharmaciens et des infirmiers du Québec qui ont produit le guide d'exercice détaillant la marche à suivre pour leurs membres pour l'administration de l'aide médicale à mourir, dont les médicaments à utiliser, ne l'ont pas fait non plus, selon le secrétaire du Collège des médecins, Yves Robert.

Il a indiqué mercredi en entrevue à La Presse qu'il n'avait eu vent d'aucune objection des entreprises ni de problème d'accès aux médicaments depuis que la loi est entrée en vigueur, à la fin de l'année dernière. Selon lui, « plusieurs dizaines » de cas ont été traités avec la procédure suggérée sans anicroche.

Projet de loi à la Chambre des Communes

Le Dr Robert s'est dit sceptique que des entreprises du secteur pharmaceutique refusent que leurs produits soient utilisés dans un tel contexte.

Une telle décision, a-t-il relevé, serait potentiellement dommageable pour l'image de ces sociétés puisque l'aide médicale à mourir est une mesure de plus en plus populaire qui n'a strictement « rien à voir » avec la peine capitale.

Les interrogations quant à la position des entreprises pharmaceutiques surviennent alors que le gouvernement libéral tente, au niveau fédéral, de faire adopter à la Chambre des communes un projet de loi sur l'aide médicale à mourir.

La directrice de Dying With Dignity Canada, Shanaaz Gokool, estime que les pharmaceutiques n'ont pas à prendre position quant à l'utilisation de leurs médicaments dans un tel contexte.

Si la loi est adoptée, il s'agira d'une « intervention médicale autorisée » et les pharmaceutiques devraient se contenter de fournir les médicaments requis, dit-elle. « Il n'y a aucune raison qu'elles ne le fassent pas », tranche Mme Gokool.