Après s'y être opposés pendant des années, des pharmaciens veulent maintenant devenir des acteurs importants dans la distribution de marijuana médicale - et ils n'excluent pas de même vendre un jour de la marijuana à des fins récréatives.Dans un communiqué de presse diffusé hier, l'Association des pharmaciens du Canada réclame « que les pharmaciens jouent un rôle de premier plan dans la gestion et la distribution de la marijuana à des fins médicales ».

Un rapport rédigé pour l'Association par la firme KPMG, aussi rendu public hier, va encore plus loin et recommande que les pharmaciens deviennent les distributeurs exclusifs de cette substance.

« En étant responsables de la distribution de la marijuana à des fins médicales, les pharmaciens pourraient contribuer à cerner des problèmes éventuels, [dont] les interactions avec d'autres médicaments », a déclaré Phil Emberley, directeur des Affaires professionnelles de l'Association des pharmaciens du Canada.

En entrevue avec La Presse, M. Emberley a franchi un pas de plus : « Ce communiqué touche spécifiquement la question de la marijuana médicale, a-t-il précisé. Ce travail de consultation nous a par contre renseignés sur le fait qu'il pourrait y avoir un rôle [pour nous], tout dépendant où Santé Canada se dirige avec la marijuana récréative. Si nous nous appuyons sur la prémisse que la sécurité est notre priorité principale, alors nous croyons que les Canadiens seraient servis par les pharmacies qui jouent un rôle là-dedans. Mais il est trop tôt pour faire quelque recommandation que ce soit. »

L'Association représente des groupes comme l'Association québécoise des pharmaciens propriétaires ou Loblaws, propriétaire des Pharmaprix et des Shoppers Drug Mart. Elle ne représente pas les ordres professionnels.

VOLTE-FACE

Il s'agit d'une volte-face importante pour cette organisation, qui s'est opposée dans le passé à ce que les pharmaciens jouent un rôle dans la distribution de marijuana à des fins thérapeutiques.

L'Ordre des pharmaciens du Québec reste d'ailleurs opposé à la vente de marijuana médicale par ses membres : « Les données tant sur l'efficacité que sur les effets indésirables et l'innocuité à long terme ne sont pas disponibles, et ça, c'est problématique. [...] On ne pourra donc pas changer notre position tant qu'on n'aura pas davantage de données », a déclaré hier Manon Lambert, directrice générale et secrétaire de l'Ordre.

En 2013, Santé Canada s'est rendu aux demandes des pharmaciens et les a exclus totalement des nouvelles règles sur la marijuana médicale. Or, dans une décision rendue dans l'affaire Allard il y a quelques semaines, la Cour fédérale a ordonné à Ottawa de revoir l'ensemble de ce nouveau régime.

Cette décision coïncide aussi avec la volonté du gouvernement Trudeau de légaliser la marijuana à des fins récréatives, et avec une nouvelle récente publiée dans le Globe and Mail, qui rapportait que Shoppers Drug Mart songeait à vendre de la marijuana pharmaceutique.

POUR LES PROFITS ?

Des groupes déjà impliqués dans l'industrie de la marijuana, comme des producteurs, des centres compassion ou des dispensaires, se sont dits favorables hier à ce que des pharmaciens s'impliquent comme distributeurs, mais pas à l'exclusion de tout autre acteur.

Certains ont avancé que cette volte-face pourrait s'expliquer par des raisons financières - une hypothèse que rejette l'Association : « Notre mandat est axé sur les soins optimaux pour les Canadiens et la sécurité du public et des patients. L'aspect commercial n'est pas ce qui a guidé cette décision », a tranché M. Emberley.