Cette semaine, 10 géants pharmaceutiques canadiens ont annoncé que dès 2017, les sommes qu'ils versent chaque année aux médecins du pays pour financer leurs congrès, leurs déplacements et certaines de leurs autres dépenses seront divulguées publiquement. Exercice de marketing pour les uns, pas vers une plus grande transparence pour les autres. Analyse d'une initiative qui fait jaser.

Des milliards aux médecins

En 2014, les sociétés pharmaceutiques ont versé plus de 6 milliards à des médecins et à des hôpitaux américains pour financer des recherches, des congrès, des conférences ou couvrir d'autres dépenses. Ces données ont pu être rendues publiques aux États-Unis, car depuis deux ans, le Sunshine Act oblige les entreprises à les divulguer. Aujourd'hui, on peut par exemple savoir que le médecin ayant reçu le plus d'argent de sociétés pharmaceutiques en 2014 est un médecin de famille de Californie (43,9 millions). Rien de tel n'existe au Canada, si bien qu'il est impossible de savoir combien les médecins reçoivent des entreprises pharmaceutiques chaque année.

Pour plus de transparence

Depuis plusieurs années, les sociétés pharmaceutiques réfléchissent à la question de la transparence, selon le président de Médicaments novateurs Canada, Russell Williams. Dernièrement, 10 entreprises, des acteurs majeurs de l'industrie au Canada, ont décidé que dès 2017, elles divulgueront combien d'argent est versé chaque année aux médecins du pays. Aucune somme individuelle ne sera dévoilée. Mais les sommes globales seront révélées pour trois postes de dépenses, explique M. Williams.

Sociétés pharmaceutiques qui divulgueront les sommes qu'elles versent aux médecins canadiens 

• Abbvie

• Amgen

• Bristol-Myers Squibb

• Gilead

• GSK

• Eli Lilly

• Merck

• Novartis

• Purdue

• Roche

Postes de dépenses qui seront divulgués

• Frais pour services professionnels, comme les conférences et les comités de consultation

• Commandites, dons et subventions

• Parrainage de frais de déplacement pour des congrès et des réunions mondiales

Scepticisme

Professeur de politiques publiques à l'Université Carleton, Marc-André Gagnon est sceptique devant l'initiative des pharmaceutiques au Canada, qu'il qualifie de démarche de « marketing ». « L'industrie ne se lance pas dans des initiatives de transparence sans raison », estime-t-il. Pour lui, les entreprises veulent peut-être « agir en vitesse et éviter un système de transparence obligatoire » comme celui des États-Unis. M. Williams se défend de vouloir prendre les gouvernements de vitesse. « Partout dans le monde, les pharmaceutiques bougent vers plus de transparence. Il y a un mouvement », affirme-t-il. Le cabinet de la ministre fédérale de la Santé, Jane Philpott, n'a pas rappelé La Presse pour confirmer si un projet de Sunshine Act est sur la table au Canada.

Conflits d'intérêts potentiels

Instigateur du Sunshine Act, le journaliste américain Paul Thacker indique qu'une récente analyse de ProPublica a démontré que les médecins recevant de l'argent d'entreprises pharmaceutiques sont plus susceptibles de prescrire des médicaments d'origine, plus coûteux que les génériques. « C'est pour ça qu'obtenir ces données est si important. Les compagnies pharmaceutiques ne sont pas des organismes de charité. Elles ne donnent pas de l'argent par plaisir. Elles doivent avoir un retour sur investissement », affirme-t-il. M. Williams dit faire face régulièrement à ce genre de critique, mais assure que l'industrie a un code de déontologie qui est suivi rigoureusement.

Acteur essentiel

Russell Williams soutient que les sociétés pharmaceutiques aident le réseau de la santé, notamment en finançant la formation continue des médecins. « On est souvent les seuls partenaires financiers sur ce plan. Sans nous, les professionnels n'auraient pas accès à toute l'information à jour », dit-il. M. Thacker acquiesce. « Le problème, ce n'est pas que les pharmaceutiques et les médecins travaillent ensemble. Le problème, c'est de ne pas le savoir. C'est pour ça qu'il est important de divulguer les sommes versées par médecin. Comme ça, quand on regarde ensuite leurs recherches, on peut les analyser en ayant toutes les informations pertinentes en tête », dit-il.

M. Williams réplique qu'au Canada, avant de pouvoir divulguer combien d'argent est versé à un médecin en particulier, son consentement doit être obtenu. « Et on évalue que si on était allé vers ça, moins de 25 % des médecins auraient accepté de participer. En ne donnant pas le nom des médecins, on va pouvoir montrer la totalité de ce que les compagnies donnent. C'est un pas dans la bonne direction pour dire ce que l'industrie verse au système », dit-il.

Les règles au Québec

Le Code de déontologie du Collège des médecins du Québec (CMQ) prévoit qu'un médecin doit « sauvegarder en tout temps son indépendance professionnelle et éviter toute situation où il serait en conflit d'intérêts ». Un médecin ne peut accepter « un dédommagement ou une rétribution par une compagnie pharmaceutique que pour son temps ou son expertise professionnelle, dans un contexte de recherche supervisé par un comité d'éthique ». « Bref, au Québec, un médecin ne peut pas être payé pour assister à une conférence ou se faire payer ses frais de voyage à un congrès », écrit la porte-parole du CMQ, Caroline Langis.