Les Québécois paient année après année pour augmenter la rémunération des médecins, mais ils n'obtiennent pas plus de services en retour. En moyenne, les médecins font en effet moins d'actes qu'avant, révèlent les données de la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ). À la demande de La Presse, l'organisme a fourni les plus récentes statistiques disponibles, dont les données préliminaires pour l'année 2014 qui n'avaient pas été publiées jusqu'ici.

Baisse de 10% des actes par médecin

De 2008 à 2014, le nombre d'actes par médecin a baissé de 10 %. Il diminue année après année, ce qui illustre une tendance. Il s'agit d'une moyenne : ainsi, certains médecins font plus d'actes que d'autres. De son côté, la rémunération moyenne a bondi de 44 % au cours de la même période. Cette hausse est attribuable aux ententes négociées dans le passé par le gouvernement Charest et les fédérations de médecins. Ces ententes ne se sont donc pas traduites par une augmentation des services à la population. Leur objectif était de permettre aux spécialistes et aux omnipraticiens d'obtenir un rattrapage par rapport à leurs collègues du reste du Canada. Les médecins québécois ont maintenant une rémunération près de la moyenne canadienne. Et comme des hausses sont prévues encore pour les prochaines années, ils sont en voie de devenir parmi les mieux payés au pays. Notons que pour 2014, la baisse du nombre moyen d'actes par médecin est beaucoup moins marquée que pour les années antérieures.

Le coût par acte grimpe en flèche

Résultat de la tendance mise au jour plus tôt : le coût pour l'État de chaque acte bondit. Il s'agit du coût moyen, puisque chacun des actes médicaux a son propre tarif payé par la RAMQ.

Des médecins plus nombreux, des services qui ne le sont pas autant

L'ajout de médecins dans le réseau de la santé n'a pas eu pour effet de hausser les services dans des proportions équivalentes. Le nombre de médecins a grimpé de 17,5 %, alors que le nombre total d'actes a augmenté de façon trois fois moindre (5,7 %). On constate toutefois que la hausse du nombre d'actes en 2014 est la plus importante des dernières années.

La réaction d'un expert en quatre citations

« Les données que vous me décrivez, les données dont je dispose et les données de la Vérificatrice générale convergent : on paie plus, mais on n'en a pas plus. Il y a une tendance qui ne fait pas de doute. Au fond, on paie plus pour la même chose. »

« Je pense que c'est correct que les gens comprennent bien que l'argent qu'on a investi ne l'a pas été pour augmenter la quantité, la qualité, l'accessibilité des services. Il a été investi pour augmenter le prix moyen de l'acte, de façon à rémunérer les médecins à un niveau plus élevé. »

« À ma connaissance, toutes les analyses qui sont faites suggèrent que depuis 2008, on n'a pas d'augmentation significative du volume de soins. On a soit une légère baisse, soit une stagnation. Les dépenses de santé ont diminué dans tous les secteurs [en dollars constants], sauf dans la rémunération médicale. Comme société, on a mis toutes nos billes dans la rémunération médicale, et on l'a fait juste pour augmenter le prix. Le volume de services n'a pas bougé. Tout ça est factuel, et on ne peut pas vraiment le discuter. »

« On a dit : nos médecins n'étaient pas assez payés avant, et on veut qu'ils gagnent plus d'argent. Maintenant, comme société, on se dit : est-ce que c'est une bonne idée ? C'est une question de valeurs sur laquelle on peut difficilement apporter une réponse absolue. [...] Pour être capables de porter un jugement pour savoir si la situation actuelle est satisfaisante ou préoccupante quant à la production de soins, on a besoin de données plus fines. Et on n'en a pas, c'est ça le problème. [...] Ça nous prend des organismes comme l'Institut national d'excellence en santé et services sociaux (INESSS) qui assume avec plus de vigueur son mandat, des ordres professionnels qui devraient avoir accès aux données de la RAMQ pour qu'ils essaient d'identifier les professionnels qui ont une pratique désirable et les professionnels qui ont une pratique qui est moins désirable et qu'ils interviennent à des fins de formation. À l'heure actuelle, la RAMQ ne le fait pas, les ordres professionnels n'ont pas accès aux données, et l'INESSS ne joue pas un rôle très proactif. »

- Damien Contandriopoulos, professeur à la faculté des sciences infirmières de l'Université de Montréal, chercheur à l'Institut de recherche en santé publique (UdeM), titulaire de la chaire de recherche Politiques Connaissances Santé (POCOSA), auteur d'études sur la rémunération des médecins

NOTE : Les données concernent la rémunération à l'acte à la fois pour les omnipraticiens et les spécialistes (la baisse du nombre d'actes par médecin s'observe principalement chez les omnipraticiens, selon M. Contandriopoulos). La rémunération à l'acte représente environ 80 % de la rémunération totale des médecins. Le reste est versé en forfaits, salaires ou honoraires forfaitaires.