Le juge Robert Mainville de la Cour d'appel du Québec vient de rendre une décision qui a pour effet que, dès demain, la Loi sur les soins de fin de vie, et ses articles sur l'aide médicale à mourir, pourra entrer en vigueur dans la province, affirme l'avocat spécialisé dans la défense des droits des patients, Me Jean-Pierre Ménard.

Le juge Mainville a accordé au gouvernement du Québec la permission d'en appeler d'un jugement rendu la semaine dernière par le juge Michel Pinsonneault et qui suspendait temporairement l'application de l'aide médicale à mourir au Québec.

Le juge Pinsonneault estimait que certains articles de la loi québécoise sur les soins de fin de vie entraient en contradiction avec le Code criminel canadien qui, au moins jusqu'au 6 février prochain, interdit l'euthanasie.

Avec cette permission d'en appeler accordée au gouvernement, la suspension de l'aide médicale à mourir tombe, selon Me Ménard. «Dès qu'il y a un appel, ça suspend l'exécution du jugement de la cour précédente», dit-il.

Me Gérard Samet, qui représente Lisa Damico, une citoyenne opposée à l'aide médicale à mourir, croit pour sa part que le jugement d'aujourd'hui «ne suspend pas le premier jugement». «Nous sommes en matière interlocutoire. Selon mon interprétation, Québec ne pourra pas appliquer sa loi dès demain», dit-il.

Les partis seront de retour vendredi prochain devant la Cour d'appel pour débattre du fond du litige.

Dans son jugement, le juge Mainville mentionne que «refuser la permission d'appel dans un dossier constitutionnel aussi important et qui soulève des questions aussi fondamentales serait remettre en question la raison d'être de la Cour d'appel».

Le magistrat mentionne également que si la suspension de l'aide médicale à mourir était maintenue, des citoyens en fin de vie et souffrants «ne pourraient se prévaloir de l'aide médicale à mourir lors de l'entrée en vigueur de la Loi le 10 décembre», chose à laquelle «le jugement final ne pourra remédier».

Les plaidoyers

Plusieurs avocats ont défilé devant le juge ce matin. Le procureur du gouvernement provincial, Me Jean-Yves Bernard, a affirmé que le Québec a pris des mois avant d'en arriver à sa Loi sur les soins de fin de vie et que celle-ci n'entre pas du tout en conflit avec le Code criminel.

Me Bernard a mentionné que rarement la Cour a empêché l'entrée en vigueur d'une loi de façon préliminaire. «La plupart du temps, on laisse les lois entrer en vigueur, car il faut présumer qu'elles ont été conçues dans l'intérêt du public» par «des gens démocratiquement élus», a plaidé Me Bernard.

Pour Me Dominic Talarico, qui représentait le Dr Paul Saba, opposé à l'aide médicale à mourir, le Québec aurait dû attendre que la loi fédérale sur l'aide médicale à mourir soit adoptée avant d'appliquer la sienne. «C'est une question d'intérêt national (...) On ne sait pas ce que fera le fédéral (...) Pourquoi le procureur général du Québec semble si pressé de faire passer sa loi?» a-t-il demandé.

Un trou

La Loi québécoise sur les soins de vie qui pourrait entrer en vigueur demain devance de quelques mois la législation fédérale sur l'aide médicale à mourir. 

En effet, après avoir rendu une décision unanime ouvrant la voie à l'euthanasie au Canada en février 2014, la cour Suprême donnait un an aux gouvernements provinciaux et fédéraux pour ajuster leur législation.

Le 3 décembre, Ottawa a demandé à la cour Suprême de lui accorder un délai supplémentaire de six mois pour produire sa loi, soit jusqu'en août 2016. Une décision à ce sujet est attendue d'ici à demain. La cour Suprême doit aussi dire si elle autorise le Québec à appliquer sa loi en entier dès demain.

Présence d'Ottawa

Des représentants du procureur général du Canada étaient aussi présents ce matin à la Cour d'appel. Alors qu'ils réclamaient eux-aussi la suspension de la loi québécoise sur les soins de fin de vie la semaine dernière, aujourd'hui, ils n'ont pas voulu prendre part au débat en disant qu'ils se «soumettraient à la décision de la Cour».