C'est une première au Québec. De crainte de devoir payer une facture qui aurait atteint un milliard de dollars dès cette année, Québec a décidé de rembourser des médicaments qualifiés de «révolutionnaires» capables de guérir l'hépatite C... mais, dans un premier temps, uniquement pour les patients les plus malades.

Selon les modalités adoptées vendredi par la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ), c'est donc dire que certains Québécois atteints d'hépatite C devront attendre trois ans avant d'avoir accès aux nouveaux traitements susceptibles de les guérir.

«Oui, c'est une première. C'est une mesure exceptionnelle qui est mise en place dans des circonstances exceptionnelles. On a essayé de faire le modèle le plus responsable possible», a expliqué vendredi à La Presse Stéphane Ahern, président du comité scientifique de l'Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS), l'organisme chargé d'évaluer les médicaments.

Les mesures concernent deux médicaments appelés respectivement Harvoni et Holkira Pak. Ils s'adressent aux patients atteints d'hépatite C de génotype 1, qui représentent de 60 à 70% des cas au Québec. Et ils peuvent entraîner une guérison complète des patients en l'espace de 8 à 12 semaines.

Le hic: ce traitement coûte de 55 000 à 60 000$ par patient. Si Québec avait remboursé le traitement à tous les Québécois concernés, le gouvernement estime qu'il aurait dû essuyer une facture d'un milliard de dollars dès la première année. Du jamais-vu au Québec pour un médicament.

«L'un des gros éléments de la décision est l'impact budgétaire qui aurait été imposé sur le régime à court terme», admet M. Ahern. C'est la première fois qu'un médicament si cher touche autant de malades dans la province.

Pour éviter la cohue et le choc budgétaire qui en découle, Québec a donc décidé de soigner les patients les plus malades en priorité. Ceux qui ont ce qu'on appelle un «score Metavir» de F3 ou F4 peuvent donc être traités dès maintenant. Les patients atteints dans une moindre mesure (score F1 ou F2) devront attendre encore un an avant de se voir rembourser le traitement. Et ce n'est que dans trois ans que l'ensemble des patients pourra y avoir accès.

«Les patients québécois qui reçoivent ce message aujourd'hui, peut-être avec une certaine dose de détresse, doivent savoir qu'ils ne doivent pas abandonner leur médecin. Il faut qu'ils aient un suivi», dit M. Ahern.

«Je ne crois pas qu'il faille associer le contexte d'austérité à ce genre d'analyse, pas du tout», a par ailleurs répondu M. Ahern à une question de La Presse.

Réactions

Laurence Mersilian, directrice générale du Centre associatif polyvalent d'aide hépatite C (CAPAH), a salué la décision de Québec de rembourser les deux médicaments en question.

«C'est une avancée importante, mais il y a un gros bémol. On ne saute quand même pas au plafond», a-t-elle lancé.

«J'ai beaucoup de patients qui attendaient ces médicaments. Les médecins ont freiné un peu les traitements actuels en disant: vous allez avoir accès bientôt à un traitement beaucoup plus court, avec beaucoup moins d'effets secondaires. Or, beaucoup d'entre eux, aujourd'hui, n'ont pas cette possibilité. C'est dommage», continue-t-elle.

«Il aurait mieux valu soigner tout le monde, tout de suite, dit aussi Réjean Thomas, fondateur et PDG de la clinique l'Actuel. Mais dans les circonstances, je suppose que c'est acceptable.»

En plus d'avoir un taux d'efficacité de presque 100% et d'agir rapidement, Harvoni et Holkira Pak ont aussi l'avantage de ne pas provoquer les pénibles effets secondaires des médicaments de la génération précédente.

«C'est une révolution médicale comme on n'en avait pas vu depuis longtemps», commente Stéphane Ahern, de l'INESSS.

En étalant le traitement des patients québécois sur plusieurs années, Québec vise en fait différents objectifs. Le premier est évidemment d'atténuer le choc budgétaire, mais M. Ahern a aussi dit souhaiter que de nouveaux médicaments fassent leur apparition d'ici là, ce qui provoquerait une concurrence et ferait baisser les prix. Selon lui, le Québec n'avait pas la capacité médicale et logistique de traiter tout le monde de toute façon, et ces mesures permettront de s'assurer que les patients les plus souffrants seront les premiers à recevoir les soins.

Des patients plus difficiles

Il y a un autre élément dans l'équation.

«Malheureusement, au Québec, la majorité de nos patients sont d'anciens toxicomanes ou des toxicomanes actifs», dit M. Ahern. Or, ces patients sont souvent difficiles à soigner. C'est pourquoi l'INESSS a proposé qu'en parallèle au remboursement de Harvoni et Hokira Pak, un programme de suivi des patients soit implanté. Et cela demande du temps.

«C'est un élément dont il fallait tenir compte, dit M. Ahern. Il faut qu'on laisse des ressources pour éviter que le patient qu'on traite aujourd'hui ne se contamine à nouveau demain.»

M. Ahern admet qu'il existe un risque que des patients qu'on ne soigne pas tout de suite en infectent d'autres. Il estime toutefois que ce risque est «limité» et touche surtout les consommateurs de drogues injectables.

Hépatite C



• Maladie potentiellement mortelle qui s'attaque au foie

• Se transmet par le sang

• De 70 000 à 80 000 personnes infectées au Québec, dont 60% sont touchées par le génotype 1

• 200: le nombre de nouveaux cas par année dans la province

- Sources: INSPQ et Centre associatif polyvalent d'aide hépatite C