L'anorexie n'est pas seulement favorisée par le culte de la minceur. Subir un grand stress au troisième trimestre de sa grossesse accroît le risque de voir son enfant développer une mauvaise relation avec la nourriture dès le début de l'adolescence.

Tel est le constat d'une étude montréalaise sans précédent, tout juste publiée dans l'International Journal of Eating Disorders. «Les troubles de l'alimentation ne sont pas seulement un phénomène socioculturel. De plus en plus, on comprend que l'anorexie et la boulimie résultent aussi de vulnérabilités biologiques que l'environnement intra-utérin peut faire apparaître chez le foetus», explique en entrevue le Dr Howard Steiger, chef du programme des troubles de l'alimentation à l'Institut universitaire en santé mentale Douglas. Le psychologue signe l'étude avec ses collègues Annie Saint-Hilaire et Suzanne King.

Depuis bientôt 17 ans, Suzanne King suit des dizaines de familles ayant vécu dans le froid et le noir, en Montérégie, après que le verglas y eut écrasé les pylônes électriques, en 1998. Toutes les mères recrutées étaient enceintes durant la tempête. Mais toutes n'ont pas subi le même «stress objectif». Ce dernier dépendait du nombre de jours passés sans électricité, du risque d'être blessé par la glace, etc.

Cela a permis aux chercheurs d'établir que plus le stress subi par une femme enceinte avait été intense, plus le risque que son enfant affiche à l'âge de treize ans et demi des conduites alimentaires inadaptées (qu'il s'agisse d'un souci obsessif d'être mince, de restrictions ou de compulsions) était important.

La façon dont chaque mère a personnellement ressenti ce stress (se sentant plus ou moins en détresse, selon sa personnalité) ne semble pas avoir eu d'impact significatif. «On ne peut donc conclure que les troubles surviennent parce que les mères angoissées ont des enfants angoissés», précise le Dr Steiger.

Le stress vécu au premier ou au deuxième trimestre n'a pas eu davantage d'effets nuisibles, du moins au chapitre de la conduite alimentaire. Le troisième trimestre représente sans doute une «fenêtre de vulnérabilité» à cet égard, parce que «surviennent alors le développement cérébral et la maturation du système nerveux», avance le Dr Steiger.

Comme le stress intra-utérin, les complications à la naissance favorisent elles aussi l'apparition de troubles de l'alimentation plus tard. «Tout cela abîme le système de régulation du stress, ce qui rend la personne plus vulnérable pour le reste de sa vie, en plus d'avoir un effet sur le métabolisme et l'appétit», dit le Dr Steiger.

D'après une recherche antérieure de Suzanne King, les enfants du Projet verglas sont justement plus sujets à l'embonpoint que les autres. Mais cela ne suffit pas à expliquer leur propension à souffrir de troubles alimentaires, précise-t-il. «Le stress vécu par la mère au troisième trimestre a un impact, indépendamment du poids de l'enfant.»

Ancrer l'anorexie dans ses gènes

L'an dernier, le chercheur avait aussi découvert que la privation alimentaire ancre l'anorexie profondément dans les gènes. Cela pourrait expliquer que la maladie soit si difficile à traiter.

«Avec l'épigénétique, on sait maintenant que tout n'est pas prédestiné, que les gènes sont flexibles, explique-t-il. Les influences environnementales agissent un peu comme un interrupteur électrique: elles peuvent les allumer ou les éteindre.»

Certains impacts environnementaux provoquent une modification chimique. Ils font en sorte que des molécules de méthyle s'attachent à des gènes (un processus nommé méthylation), ce qui peut en quelque sorte «désactiver» les gènes touchés - y compris ceux qui jouent un rôle dans la gestion du stress.

Qu'est-ce qui altère la méthylation? Le stress, justement, qu'il soit ressenti par un foetus dans le ventre de sa mère ou qu'il soit causé par un traumatisme d'enfance, ou encore par des déficits nutritionnels (en acide folique, en vitamine B12, etc.).

«En faisant des régimes intensifs, vous altérez la méthylation. Autrement dit, les gens anorexiques abîment leur propre épigénome», prévient le Dr Steiger.

Parmi les 30 patientes ayant pris part à cette étude, les anorexiques de longue date affichaient des degrés de méthylation plus élevés que les autres. Cela s'observait sur deux groupes de gènes importants. Le premier d'entre eux influence les fonctions physiologiques étroitement liées à la nutrition (foie, entreposage des gras, état squelettique, etc.), tandis que le second influence l'humeur (anxiété, fonctionnement social, attachement).

«La dénutrition pourrait donc être à la base de dérèglements physiques et psychologiques typiques de l'anorexie», conclut le chercheur, qui tente maintenant de découvrir une façon de réparer les dégâts, en renversant le processus de méthylation. La psychothérapie a un certain impact à cet égard, dit-il, mais des nutriments particuliers, et peut-être un jour, des médicaments, pourraient éventuellement se révéler utiles.