Un an après la création d'un nouveau régime de marijuana médicale au Canada, Ottawa n'a accordé qu'un seul permis de production à une entreprise québécoise. Cette firme de Gatineau pourrait bientôt recevoir son permis de distribution - une autorisation qui pourrait valoir son pesant d'or. En primeur, Hydropothicaire a ouvert ses portes à La Presse.

Adam Miron et Sébastien St-Louis n'avaient pas d'expérience particulière dans le domaine avant de se lancer dans l'aventure de la marijuana médicale. Le premier est issu de la politique et des relations publiques, et il est cofondateur du site de nouvelles fédérales iPolitics. Le second est titulaire d'un MBA de l'UQAM et il a travaillé pour la Banque de développement du Canada en plus de connaître un certain succès financier dans le secteur immobilier.

Mais lorsqu'en 2013, les deux hommes de 31 ans ont été mis au fait des plans de Santé Canada de miser dorénavant sur l'entreprise privée pour vendre de la marijuana médicale, ils ont décidé de se lancer dans l'aventure. Ils ont peu après rencontré l'horticulteur Louis Gagnon, qui avait eu la même idée. Les trois ont décidé de s'associer et Hydropothicaire était né.

L'entreprise a investi les installations de la pépinière de M. Gagnon, Botanix, à Masson-Angers, une municipalité fusionnée à Gatineau. Au cours des deux dernières années, des arbres y ont été coupés pour faire place à plus de 50 000 pi2 de serres. Et tandis que le long processus d'approbation de Santé Canada suivait son cours, les fleurs ont cédé le pas à des plants de cannabis qui peuvent atteindre 14 pi.

Vers l'automne dernier, Hydropothicaire a été la première entreprise québécoise à obtenir son permis de production, une autorisation qui permet de produire de la marijuana séchée, mais pas de la vendre.

« On attend encore notre droit de vendre et de distribuer le produit, On a bien hâte d'avoir ça pour commencer à distribuer notre médecine à nos patients... », affirme Sébastien St-Louis, président d'Hydropothicaire.

Long processus

Mais n'obtient pas ce permis qui veut. Santé Canada a reçu 1250 applications. Plus de 900 ont été rejetées. De plus, 324 sont toujours en traitement, dont 30 au Québec. Et aucune entreprise n'a obtenu de permis de distribution depuis environ un an (l'examen des demandes avait commencé avant la mise en oeuvre complète du nouveau système).

Le processus est long, complexe et il inclut des vérifications de sécurité intensives de la part de la Gendarmerie royale du Canada, en plus de l'examen du dossier et des inspections du ministère fédéral de la Santé.

C'est sans parler des investissements requis pour démarrer un tel projet. Au départ, racontent les fondateurs, Hydropothicaire a pu compter sur l'aide financière d'amis et de membres de la famille. Mais ensuite, il a fallu trouver d'autres partenaires et même se rendre à Bay Street, au coeur du quartier financier de Toronto, pour y multiplier les présentations. Un exercice qu'Adam Miron compare à l'émission Dans l'oeil du dragon, « qui pouvait se répéter 5 à 10 fois par jour ».

Les jeunes hommes d'affaires sont parvenus à dénicher un premier financement de 5 millions de dollars, qui a servi à construire de nouvelles serres capables de produire jusqu'à 2000 kg de cannabis par année et à payer la douzaine d'employés qui travaillent déjà à temps plein pour l'entreprise. Ils s'attendent prochainement à recevoir 15 millions de plus, qui aideront à démarrer la production commerciale et à faire de la recherche et du développement pour de nouveaux produits.

Service haut de gamme

Malgré la taille de ces investissements, ils demeurent persuadés que les profits seront aussi au rendez-vous. Ils sont prêts à lancer leur entreprise à la Bourse de Toronto dès qu'ils auront reçu leur permis de distribution. Et ils ciblent un marché très précis : celui des consommateurs plus aisés, prêts à payer jusqu'au maximum permis de 15 $ le gramme en échange d'un service haut de gamme, qui inclut une livraison dans une boîte enrubannée et une ligne d'aide téléphonique 24 heures sur 24.

Adam Miron, le spécialiste marketing du groupe, décrit le client type d'Hydropothicaire comme une mère de famille aisée (« soccer mom ») aux prises avec des troubles de sommeil ou de l'anxiété et qui consommerait autrement des pilules ou de l'alcool pour s'endormir. Le plus difficile, dit-il, sera de briser les stigmates qui entourent la consommation de pot chez des gens qui ne sont pas des consommateurs typiques. Il chiffre le potentiel de ce marché à près de 20 000 personnes au Canada et espère desservir une clientèle de 4500 patients d'ici 2017.

Sébastien St-Pierre voit encore plus grand pour la suite des choses. Il rappelle la prohibition de l'alcool pour illustrer les possibilités d'un marché qui pourrait exploser. Si l'usage récréatif de la marijuana est un jour autorisé, son entreprise compterait parmi les privilégiées à avoir bénéficié d'une longueur d'avance. « C'est là qu'on commence à regarder un marché d'une envergure de 10 milliards ou plus, sans compter les opportunités d'aller à l'international... » dit-il.

« Finalement, les opportunités sont immenses. »

Difficultés de mise en oeuvre

La mise en oeuvre du nouveau système connaît certaines difficultés. La principale a été une injonction accordée par les tribunaux à la demande de détenteurs de permis dans l'ancien système. Selon eux, le nouveau régime est inconstitutionnel puisqu'il fait augmenter radicalement les prix de leurs traitements. En vertu de cette injonction, ces détenteurs de permis peuvent donc continuer à produire leur propre marijuana, en attendant une décision sur le fond qui devrait être rendue au cours des prochains mois.

Peu d'élus au Québec

Hydropothicaire est la seule entreprise québécoise à avoir obtenu un permis en vertu du nouveau régime. La plupart des permis ont été accordés en Ontario et en Colombie-Britannique. Des experts consultés par La Presseexpliquent la situation par le fait que le marché était déjà beaucoup plus développé dans ces deux provinces, tant en termes de patients que de producteurs autorisés. Une trentaine de demandes provenant de la province francophone serait actuellement en examen. Santé Canada affirme qu'un processus rigoureux a été mis en place et qu'il n'y a pas d'arriéré de demandes, et ce, même si aucun permis de distribution n'a été accordé depuis près d'un an, nulle part au Canada.

Portrait du système au Canada

Un an après son adoption, voici le portrait du nouveau système de marijuana méciale au Canada:

• 1250 demandes présentées

• 900 demandes rejetées

• 25 permis accordés (production et/ou distribution)

• 1 permis de production au Québec

• 0 permis de distribution accordé depuis mars 2014

• 17 000 clients rapportés par les entreprises autorisées

• 20 000 patients s'approvisionneraient toujours en vertu de l'ancien régime

• 450 000 personnes seraient autorisées à consommer de la marijuana médicale d'ici 10 ans

*Source : Santé Canada

La création d'une nouvelle industrie

Mis sur pied il y a un an, le nouveau programme de marijuana médicale mise sur des entreprises privées pour produire et distribuer aux patients. Selon l'ancien régime, ces derniers pouvaient se procurer leur traitement de trois manières : en obtenant un permis de production, en désignant un tiers pour le produire pour eux ou en s'approvisionnant auprès du fournisseur attitré d'Ottawa, Prairie Plant Systems. Désormais, seul un nombre restreint d'entreprises est autorisé à produire et à distribuer la substance. Et le gouvernement fédéral a laissé aux médecins le rôle d'autoriser ceux qui peuvent la consommer.