Insatisfait des conditions que le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, lui imposait afin de le renommer à la tête du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM), Jacques Turgeon a déposé sa démission aujourd'hui.

«En gros, le ministre voulait que je nomme le Dr Patrick Harris à la tête du département de chirurgie sans quoi, je ne pouvais garder mon poste», vient de déclarer M. Turgeon, présentement en voyage à l'extérieur.

Depuis janvier, le CHUM a dû nommer un chef intérimaire à la tête du département de chirurgie, car le processus de sélection du nouveau chef piétinait.

Avec 105 chirurgiens en activité dans ses trois hôpitaux, le CHUM est au deuxième rang au Canada en ce qui concerne la taille de son département de chirurgie. Depuis 10 ans, le Dr Patrick Harris dirigeait le département de chirurgie du CHUM ; son mandat se terminait toutefois le 19 décembre.

En prévision de cette échéance, un comité de nomination a été mis sur pied à l'été 2014. Une dizaine de personnes y siégeaient, dont le directeur général du CHUM, Jacques Turgeon.

Dans une lettre datée du 17 octobre et obtenue par La Presse, les quatre chefs adjoints du département de chirurgie du CHUM ont écrit au Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) de leur établissement pour soulever des doutes sur l'impartialité du comité de nomination en évoquant «la subjectivité avérée et faillible de certains de ses membres . Aucun de ces membres n'était toutefois identifié.

Pendant deux mois, le comité de nomination a rencontré différents acteurs du CHUM en vue de choisir le meilleur candidat. À l'automne, le comité a recommandé la nomination d'un urologue du CHUM comme chef du département de chirurgie.

Cette recommandation a choqué certains chirurgiens du CHUM, qui estimaient plutôt que le Dr Patrick Harris devait être renommé à la tête du département. Une pétition en ce sens, qui a recueilli la signature de plus de 65 chirurgiens, a d'ailleurs été acheminée à la direction du CHUM et au conseil d'administration.

Le conseil d'administration a finalement décidé de ne pas retenir la suggestion du comité de nomination, qui a été dissous. La porte-parole du CHUM, Irène Marcheterre, refuse de dévoiler les raisons de cette décision. «Les membres du CA ont pris leur décision basée sur l'ensemble des éléments du dossier», dit-elle, en ajoutant que les avis de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal et de l'exécutif du CMDP ont aussi été considérés.

Directeur intérimaire

Devant cette impasse, un directeur par intérim a été nommé au département de chirurgie du CHUM. Il s'agit du Dr Conrad Pelletier, un chirurgien cardiovasculaire et thoracique qui a pratiqué notamment à l'Institut de cardiologie de Montréal.

Dans une lettre datée du 30 janvier, des chirurgiens du CHUM ont écrit à leur conseil d'administration et au ministre de la Santé Gaétan Barrette pour dénoncer cette nomination. «Nous comprenons mal la rationnelle de nommer pour intérim un chef n'ayant jamais exercé au CHUM, manifestement moins au fait des problématiques criantes inhérentes au déménagement [...]. Il nous apparaît évident et désolant que nous perdrons dans les prochains mois du temps précieux pour réussir la bonne marche du département de chirurgie», est-il écrit.

Mme Marcheterre réplique que le directeur intérimaire est «tout à fait compétent». Elle assure que le fait que le processus de sélection se prolonge n'est «pas exceptionnel». «Le département n'est pas en péril. Il y a quelqu'un de grande expérience à la tête du département présentement. Le déménagement ne sera pas hypothéqué», assure Mme Marcheterre.

Un deuxième comité de nomination a été mis sur pied au début du mois de février et devrait rendre sa décision d'ici deux mois. M. Turgeon siégeait également sur ce comité.

Selon M. Turgeon, le ministre Barrette voulait que M. Turgeon nomme le Dr Harris à la tête du département de chirurgie. Sans quoi, il ne serait pas renommé à la tête de la direction du CHUM.

En conférence de presse ce matin, le ministre a dit avoir recommandé à M. Turgeon de conserver les sept chefs de département actuels du CHUM, dont celui de chirurgie, en poste, d'ici à ce que le CHUM ne déménage. Le tout pour assurer une «transition harmonieuse». Le ministre a martelé ne jamais avoir poussé M. Turgeon à démissionner. Il l'a plutôt «enjoint à choisir une solution pour assurer la stabilité» du CHUM.

Barrette nie toute ingérence ou abus de pouvoir

Gaétan Barrette rejette toute responsabilité face à la décision du directeur général du CHUM, Jacques Turgeon, de claquer la porte.

En point de presse, M. Barrette s'est défendu d'avoir poussé M. Turgeon vers la sortie afin de mieux imposer ses vues sur la direction du CHUM. Bien au contraire, il a affirmé être «déçu» et «surpris» par le départ du directeur général, en qui, a-t-il tenu à préciser, il avait toujours confiance.

Le ministre a également nié avoir voulu imposer la reconduction du docteur Harris. Il a expliqué qu'il avait plutôt «enjoint» M. Turgeon «à trouver une solution permettant la stabilité dans le contexte actuel de déménagement du CHUM». Jamais cette suggestion «n'a été liée aux conditions de renouvellement d'embauche de M. Turgeon», a insisté M. Barrette.

Selon M. Barrette, le départ du directeur général survient au moment où des tensions internes, des «guerres de clans», agitent le CHUM.

«On parle d'intimidation, on parle d'attitude, on parle de tractations, on parle de toutes sortes de choses. Vous savez, un hôpital universitaire, c'est un hôpital qui est à cheval entre les services à la population et la vie universitaire. Il y a l'université qui est là-dedans, il y a les guerres de pouvoir, les carrières, ceci, cela», a déclaré le ministre.

«Ça existe encore et ça va se terminer en 2016 (avec l'ouverture du nouvel établissement), a-t-il ajouté. Entre-temps, il y a toutes sortes de guerres, particulièrement quand arrive le temps de nommer des chefs.»

- Martin Ouellet, La Presse Canadienne