La consommation d'opioïdes d'ordonnance a créé une véritable «crise» au Canada et aux États-Unis, jugent les experts. Pas moins de 30 millions de comprimés ou de timbres de narcotiques sont distribués annuellement au Canada: en quelques années, les Canadiens sont devenus les deuxièmes consommateurs mondiaux d'opioïdes d'ordonnance.

Et cette crise a été créée de toutes pièces par les médecins, dénoncent des praticiens spécialistes en dépendance. «Tout ça, c'est la faute des médecins!», s'exclame la Dre Marie-Ève Goyer, médecin spécialiste en toxicomanie.

Certains médecins sont devenus de véritables pushers, dénonce la médecin, qui oeuvre au Centre de recherche et d'aide pour narcomanes (CRAN). «Il y a des médecins connus. Après cinq minutes, ils te donnent ce que tu veux. Des médecins pushers, il y en a. Il y en a toujours eu. Ce n'est pas juste à cause d'eux que le problème existe, mais ils ont contribué au phénomène, dit-elle. À Montréal, des cliniques sans rendez-vous boboches, où ça y va par là avec les prescriptions, il y en a quand même beaucoup.»

Certains médecins laxistes sont bien connus de la profession. «Un patient qui avait une prescription d'un tel docteur, c'était pratiquement un critère de dépendance. C'était le plus connu de Montréal: tous ceux qui en voulaient allaient le voir.»

Dans de tels cas, et lorsqu'il y a plainte, Santé Canada peut suspendre le droit d'un médecin de prescrire des opioïdes. Au Québec, 73 médecins ont ainsi perdu ce droit de prescription.

«On sous-estime les risques»

La Dre Marie-Ève Morin, qui oeuvre à la clinique OPUS, spécialisée dans le traitement des dépendances, donne depuis 2008 à ses collègues médecins une conférence au titre évocateur: «Quand docteur rime avec pusher». Son diagnostic est tranchant. «C'est sûr que tout cela est parti des docteurs! On parle de médicaments prescrits par eux!»

La plupart des médecins ne sont pas mal intentionnés lorsqu'ils prescrivent des opioïdes, dit-elle. «Est-ce qu'il y a de la négligence? Pas nécessairement. Mais je pense qu'on sous-estime les risques de dépendance avec ces médicaments-là. On pense bien faire notre travail en remettant une prescription.»

«Les outils à la disposition du médecin sont passablement limités, rétorque la directrice de la clinique de la douleur de l'hôpital du Sacré-Coeur, la Dre Aline Boulanger. Quand on a 20 minutes pour se faire une idée sur la bonne foi du patient, c'est un défi. Je trouve malheureux qu'on mette tout le poids sur le dos des médecins.»

Mohammed Ben Amar est pharmacologue. Il mène actuellement une étude sur la surprescription d'opioïdes pour le compte du Centre québécois de lutte aux dépendances. «C'est un problème sérieux. Il faut éduquer les médecins à moins prescrire», dit-il.

Pourtant, le Québec est relativement bon élève en ce qui a trait aux prescriptions d'opiacés: une étude sur le comportement des médecins canadiens a montré en 2011 que les médecins québécois étaient ceux qui prescrivaient le moins d'opioïdes au Canada. Malgré tout, la tendance est à la hausse: les ordonnances d'opiacés puissants ont augmenté de près de 45% entre 2005 et 2011 au Québec.

L'informatisation: la solution?

Au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), on tape du pied devant la prolifération, dans la rue, de cette nouvelle drogue tout à fait légale. «Si nos cliniques et nos pharmacies avaient un système informatisé qui les reliait, on saurait que la personne magasine. On pourrait lever le drapeau rouge. On règlerait la problématique en bonne partie, puisque les ordonnances médicales constituent la principale façon pour les gens de se procurer ces produits», souligne le commandant Martin Renaud, qui dirige la division du crime organisé.

Médecins et pharmaciens sont trop insouciants avec ces produits, croit-il. Bon an, mal an, on ne rapporte que 75 ordonnances contrefaites à la police. «Or, on sait que le nombre de fausses ordonnances est beaucoup plus important que ce qui nous est rapporté. Il faut rappeler aux gens que c'est important de porter des accusations.»