En un an, 11 maisons accueillant des personnes lourdement handicapées ont fermé leurs portes au Québec, car les nouvelles règles de rétribution auxquelles elles sont soumises depuis 2013 les pénalisent lourdement. Si le gouvernement ne rajuste pas le tir, pas moins de 170 autres établissements, accueillant plus de 600 patients, risquent à leur tour de mettre la clé sous la porte d'ici 2015, a appris La Presse. Une situation qui met en péril un réseau qui accueille une clientèle des plus vulnérables.

«Il n'y a pas encore eu de fermetures massives de ressources. Mais dès le 30 décembre 2015, on risque de frôler la catastrophe», reconnaît Claude Belley, directeur général de la Fédération québécoise des centres de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement (FQCRDITED).

En 2013, après avoir obtenu le droit de se regrouper, les ressources non institutionnelles (RNI) hébergeant des personnes handicapées ont signé une entente avec le gouvernement. Leur rétribution a été modifiée. «Environ 90% des ressources gagnent plus d'argent ou autant qu'avant. Mais il reste 10% qui subissent de lourdes pertes financières», explique M. Belley.

Ces ressources accueillent surtout des personnes très lourdement handicapées ou ayant de graves troubles de comportement. «Pour elles, les pertes financières sont si importantes qu'elles envisagent de fermer», note M. Belley.

Le problème réside dans le changement de tarification de plusieurs services. Par exemple, le gouvernement ne verse plus que 30$ par jour pour les patients nécessitant une surveillance étroite, même la nuit. «Mais payer quelqu'un au salaire minimum pour surveiller la nuit coûte au moins 102$. Ça représente des pertes de plusieurs milliers de dollars par année. Ça ne fonctionne pas», reconnaît M. Belley.

Forcée de fermer

Ana Munari a géré une ressource intermédiaire à Deux-Montagnes pendant 10 ans. Elle accueillait trois ou quatre personnes lourdement handicapées. Mais devant le stress que cause la nouvelle rémunération, elle a fermé ses portes le 13 juin. «Ça me coinçait à la gorge, raconte la dame en ne pouvant réprimer un sanglot. En peu de temps, une même résidante est passée de 101$ par jour à 66$. Je n'arrivais plus. C'est difficile. Je m'ennuie. On ne peut pas tourner la page sur 10 ans comme ça.»

M. Belley affirme que jusqu'en 2015, toutes les ressources intermédiaires ont l'assurance de recevoir le même niveau de rémunération qu'avant l'entente. «Il y a une période tampon où on garantit la même rémunération qu'avant», dit-il. Il reconnaît toutefois que dans les premiers mois suivant le changement de réglementation, certains CRDI étaient confus et ont modifié la rémunération de certaines ressources. C'est ce qui pourrait expliquer en partie que 11 ressources aient déjà fermé leurs portes.

Pour Pierre Hébert, qui s'occupe depuis 13 ans de personnes lourdement handicapées dans le Centre-du-Québec, le temps presse. Sa résidence est déjà en vente. «Si rien ne bouge, je ferme en 2015. Je recevrai 37% de moins en rétribution. Comment continuer?» demande-t-il.

Le frère de Raymond Champagne habite chez Pierre Hébert depuis huit ans. «Il a fait plusieurs maisons avant. Mais c'est la première fois qu'il est vraiment bien traité et soigné. Je ne veux pas que ça ferme. Si ça arrive, ça va être terrible», dit-il.

Au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), on mentionne qu'une «vaste consultation» a eu lieu en mai et juin «afin de sonder les effets des ententes». En plus du comité spécial qui a été créé, le Ministère documente actuellement les situations problèmes «dans le but de développer des pistes de solutions durables pour assurer la stabilité des usagers».

Photo André Pichette, La Presse

Ana Munari a géré une ressource intermédiaire à Deux-Montagnes pendant 10 ans.