La productivité des médecins diminue constamment depuis une quinzaine d'années. Tant les spécialistes que les omnipraticiens travaillent moins de jours annuellement.

C'est ce que révèlent deux rapports inédits produits par le ministère de la Santé et des Services sociaux dont La Presse a obtenu copie. Datés du 18 février 2014, les documents évaluent la productivité et la performance des médecins.

La conclusion? Depuis 1998-1999, «on constate une baisse du nombre de jours [travaillés]», tant chez les spécialistes que chez les médecins de famille, peut-on lire.

La diminution s'est accentuée au cours des cinq dernières années, période qui correspond également à une hausse importante de la rémunération des médecins à la suite de négociation en vue d'un rattrapage salarial avec les médecins canadiens.

L'étude démontre que les hommes ont davantage réduit leurs heures de travail au cours des dernières années. L'écart entre les hommes et les femmes - qui travaillaient déjà moins - s'est donc considérablement réduit.

Les deux documents ont été produits par la Direction générale du personnel réseau et ministériel. Personne au Ministère n'a voulu commenter et expliquer la teneur des chiffres qui y sont dévoilés.

Vraisemblablement, il s'agit de deux rapports «sensibles» qui ont été réalisés en vue de négociations futures avec les fédérations de médecins.

Les jeunes à la traîne

Chez les omnipraticiens, les médecins âgés (60 à 69 ans) sont ceux qui inscrivent le plus de nouveaux patients. À l'inverse, ce sont les médecins de moins de 30 ans qui en inscrivent le moins.

Au fil des ans, le nombre moyen de contacts-patients par médecin a diminué de 12,2%, passant de 3174 à 2785. La baisse est plus marquée en cabinet, mais elle se fait également sentir dans les urgences.

De façon générale, les omnipraticiens travaillent près de 20 jours de moins aujourd'hui qu'il y a 15 ans. Si l'on tient compte de tous les médecins de famille qui présentent une facturation minimale, le nombre de jours travaillés est passé de 188,1 à 167,7 jours.

«La baisse la plus importante est observée chez les 30 à 39 ans et chez les moins de 30 ans», peut-on lire dans le rapport.

Baisse aussi chez les spécialistes

La baisse de productivité se fait également sentir du côté des médecins spécialistes. L'étude du Ministère conclut qu'au cours des cinq dernières années, le nombre moyen de jours de facturation a diminué de 7,1 jours et le nombre de patients annuel par médecin a diminué de 5,7%.

«Sans l'introduction de la garde en disponibilité et de l'enseignement, le nombre moyen de jours de facturation aurait diminué davantage», peut-on lire.

C'est du côté des spécialités chirurgicales que le nombre de jours moyen avec les patients a le plus diminué, soit 12,1 jours.

Seuls les anesthésiologistes ont vu le nombre de jours de travail augmenter au cours des cinq dernières années.

Réaction des médecins

Dr Louis Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec:

Il faut analyser les données avec prudence, car plusieurs facteurs peuvent expliquer la situation, dit-il. Les activités médicales particulières (AMP), qui obligent les jeunes médecins à travailler dans les hôpitaux, limitent notamment le temps disponible pour le travail en cabinet, déplore le Dr Godin.«Les AMP ont un effet sur la capacité de prendre des nouveaux patients puisque les médecins sont plus souvent à l'hôpital qu'au bureau.»

Les médecins voient peut-être moins de patients chaque jour, mais c'est parce que les cas sont beaucoup plus lourds qu'avant, a ajouté le Dr Godin. «Le temps consacré à chaque patient est plus grand aujourd'hui.»

Dre Diane Francoeur, présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec:

La FMSQ n'a pas été informée de la teneur de l'étude qui semble avoir été commandée par l'ancien ministre de la Santé Réjean Hébert, indique la Dre Francoeur. «Quand on parle de productivité, je pense qu'il est adéquat de se pencher sur cette question, mais encore faut-il s'assurer qu'on compare les bonnes choses», dit-elle.

Elle espère aussi que le Ministère a produit une étude en vue d'arriver avec des solutions. «Si on se rend compte qu'il y a moins de chirurgies dans les hôpitaux, qu'on corrige le tir», indique la Dre Francoeur en soulignant que les spécialistes se butent souvent à des plateaux techniques qui ne sont pas disponibles.