Plusieurs entrepreneurs obtenant des contrats de ressources intermédiaires (RI) au Québec sont très impliqués dans la fondation de leur établissement de santé, a constaté La Presse.

Paul Arbec est par exemple président de la Fondation pour la santé du Nord de Lanaudière. M. Arbec reconnaît qu'il s'impliquait dans la Fondation depuis quelques années, en participant notamment au tournoi de golf annuel et aux autres activités. Mais ses contrats ont été obtenus avant sa nomination comme président, en juin 2013.

M. Arbec affirme qu'il s'est questionné sur le potentiel de conflit d'intérêts en acceptant le poste de président de la Fondation. «J'ai moi-même présenté la question. [...] Mais personne, ni à la direction du CSSS ni à la Fondation, n'y voyait de problème, dit-il. Ça reste du bénévolat. Je ne peux pas dire que j'ai eu des contrats à cause de ça.»

Francis Charron, d'EMD Construction, qui a obtenu des contrats de RI du CSSS du Lac-des-Deux-Montagnes en 2008 et en 2012, a notamment été président d'honneur du tournoi de golf de la Fondation de l'hôpital de Saint-Eustache en 2009 et en 2010. Dans une lettre datée du 30 mai 2011, le président de la Fondation écrit à Francis Charron pour le «remercier sincèrement de [son] engagement».

La porte-parole du CSSS, Lyne Destroismaisons, assure qu'«aucun traitement de faveur n'est fait» envers les entrepreneurs qui s'impliquent auprès de la Fondation. Marc Dubuc, d'EMD Construction, ajoute que son engagement auprès de la Fondation de l'hôpital est désintéressée. «On s'implique aussi pour le décrochage scolaire dans la région», dit-il.

Redonner à la communauté

Au CSSS du Coeur-de-l'Île, la porte-parole Sylvie Lanthier n'a quant à elle pas pu commenter le fait qu'en 2010, les Résidences Parc Jarry figurait dans la liste des donateurs de 1000$ et plus de la Fondation de l'hôpital Jean-Talon. La résidence du parc Jarry, propriété du Groupe immobilier Global, a signé un contrat de gré à gré de 34 places de RI en 2009. «Les informations de dons à la Fondation ne sont pas publiques», dit Mme Lanthier.

Joint par La Presse, M. Falvo n'a pas caché le fait qu'il est un donateur pour l'hôpital. Mais, selon lui, cela ne lui rapporte aucun contrat. «Nous avons une philosophie de redonner à la communauté. La Fondation n'a aucun pouvoir décisionnel dans l'octroi de places en ressource intermédiaire. En fait, si je proposais d'avoir des places en donnant à la Fondation, je suis pas mal sûr que je n'aurais pas de contrats!», assure M. Falvo.





«Corruption institutionnelle»

Doctorante en pensée politique à l'Université Harvard, Emma Saunders-Hastings a publié une recherche intitulée «Vertu du secteur privé et vices du secteur public: la philanthropie qui gouverne».

Mme Saunders-Hastings parle des liens entre les fondations et les hôpitaux comme de la «corruption institutionnelle». «On pense souvent que pour qu'il y ait "corruption", il doit y avoir des gens mal intentionnés qui veulent profiter du système. Ce n'est pas nécessairement le cas, dit-elle. Pour qu'il y ait de la «corruption institutionnelle», il doit y avoir une situation de «dépendance malsaine»».

Mme Saunders-Hastings mentionne qu'on assiste à de la «dépendance malsaine» quand des décideurs publics, pour financer leurs activités, comptent sur des entreprises ou des individus envers qui ils se sentent ensuite redevables. «Les décideurs publics peuvent même se sentir simplement reconnaissants. Mais, au final, ça influence le processus décisionnel de l'établissement public, même subtilement», mentionne Mme Saunders-Hastings.

Damien Contandriopoulos, professeur à la faculté des sciences infirmières de l'Université de Montréal et spécialiste des questions éthiques en santé, estime que les liens entre les établissements de santé et leur fondation sont parfois «ambigus». «La fondation n'a pas de lien direct dans l'octroi de contrat. Mais au conseil d'administration de la fondation, il y a toujours un poste occupé par le directeur général de l'hôpital qui, lui, prend part aux décisions de contrats. Être sur la fondation permet de faire "ami-ami"», explique-t-il.

Selon la loi, un représentant de la fondation siège également à tous les conseils d'administration des hôpitaux de la province. Toutefois, M. Contandriopoulos croit que la très grande majorité des gens qui s'impliquent dans les fondations des hôpitaux le font pour le simple plaisir de contribuer à la communauté.

Un lien «important» entre le public et le privé

Karine Gallopel-Morvan, professeure en marketing social à l'École des Hautes Études en santé publique de Paris, a passé quelques semaines en 2013 à visiter les fondations des établissements de santé du Québec pour mieux en comprendre le fonctionnement. Car en France, les hôpitaux publics commencent à peine à se doter de telles fondations. «J'ai été surprise de voir qu'au Québec, les hôpitaux ne se gênent pas pour dire que sans les dons des fondations, ils n'arriveraient pas à boucler leur budget», dit-elle.

Mme Gallopel-Morvan a remarqué une «professionnalisation des fondations». «De grandes compagnies s'impliquent beaucoup. Je crois que c'est bon pour l'image de marque des compagnies de donner à des hôpitaux. Mais pourquoi donnent-elles du temps aussi?», se demande la professeure, tout en concluant que «le lien entre le privé et le public est bien plus important au Québec qu'en France».