Épaulée par son conjoint, Sylvie L'Heureux a choisi il y a près de deux ans de mettre sa carrière en veilleuse pour s'occuper de sa mère à temps plein. Si la décision a changé la vie du couple, les deux ne l'ont jamais regretté. Ils feraient le même choix aujourd'hui.

La maladie

Les premiers signes de l'Alzheimer ont été diagnostiqués en 2005. Maintenant âgée de 90 ans, Laurette L'Heureux n'est plus autonome. Un tapis placé sous son lit déclenche une alarme dès qu'elle se lève. Sa fille accourt pour l'aider à se lever ou à se rendre à la toilette. Sylvie L'Heureux fait participer sa mère à toutes les petites activités qu'elle est encore en mesure de faire : faire le lit, essuyer quelques morceaux de vaisselle, tricoter un foulard. La routine est importante. Le moindre changement peut déclencher des crises et bouleverser sa mère pendant plusieurs jours.

Le quotidien

Les repas nécessitent du temps et de la patience. Il faut souvent deux heures pour que Laurette L'Heureux mange le contenu de son assiette. Se laver et s'habiller lui demandent aussi beaucoup d'efforts. Elle fait généralement une sieste par la suite. Pendant ce temps, sa fille accomplit toutes les tâches du quotidien qu'elle ne peut faire en sa présence : lavage, ménage, préparation des repas. L'après-midi, la mère et sa fille sortent faire quelques pas à l'extérieur et Laurette L'Heureux s'arrête devant chaque poussette. Elle adore les bébés. Les nuits sont parfois difficiles. Il arrive qu'elle ne dorme pas. Elle se promène dans la maison en faisant du ménage. Sa fille la veille. Elle récupère le sommeil perdu quand elle peut.

Les petits deuils

Les petits deuils s'accumulent à mesure que la maladie progresse : la première fois que la mère a oublié l'anniversaire de sa fille, le jour où elle ne s'est plus souvenue de son nom, le matin où elle pensait voir sa grand-mère dans le miroir. « C'est très dur. On pleure beaucoup au début », confie Sylvie L'Heureux. À ceux qui comparent la situation avec celle d'un bébé, elle rétorque que ça n'a rien à voir. « Un bébé, ça avance, ça évolue tous les jours. »

Sur sa relation avec sa mère

« Ma relation avec ma mère m'a aidée autant sinon plus que tout ce que j'ai pu lire sur la maladie. On était très proches. J'ai une connaissance de qui elle est et le respect de vouloir garder cela. C'est fondamental. Je veux l'accompagner dans sa maladie, mais garder la personne qu'elle était. »

Sur la décision de garder sa mère

Sylvie L'Heureux a longuement discuté avec son frère, sa soeur et son conjoint. Personne ne voulait placer Laurette L'Heureux dans un CHSLD. Les démêlés avec le CLSC de Laval, territoire où la dame habitait à l'époque, n'ont fait qu'envenimer les choses. Son dossier se perdait, tout était constamment à recommencer. « C'était l'enfer », affirme Mme L'Heureux. Elle craignait aussi de voir sa mère médicamentée, assise dans une chaise pendant des heures avec d'autres bénéficiaires. « Ça me demande chaque minute de ma journée pour la motiver, la faire manger... Je ne sais pas comment un préposé peut faire avec 10 patients. »

Besoin d'aide et de répit

Sylvie L'Heureux n'a pas besoin d'aide pour le ménage ou l'hygiène. Elle veut du répit pour elle. Le CLSC lui offrait six heures de répit, mais en deux blocs de trois heures. « Ils offrent des kits. Si ce n'est pas ce dont tu as besoin, tu n'as rien », dit Mme L'Heureux. Elle a finalement négocié cinq heures de répit le jeudi soir, qu'elle prolonge parfois en déboursant de sa poche pour le gardiennage. Elle a trouvé une personne en qui elle a confiance et elle peut partir en toute tranquillité. Cette soirée lui permet de voir des amis, de manger au restaurant, d'aller au théâtre. « J'en ai besoin », dit-elle. Sa famille et son conjoint, tous très proches d'elle, l'épaulent aussi beaucoup.

De petites joies

Sylvie L'Heureux et son conjoint n'ont jamais regretté leur choix de prendre Laurette L'Heureux à la maison avec eux. Ils passent de bons moments, à rire tous ensemble. « C'est agréable de s'occuper de ses parents. J'ai du plaisir à m'occuper de ma mère, ce n'est pas une corvée. J'ai seulement bes

n d'un peu d'aide, d'un peu de répit et d'une certaine reconnaissance de la société », lance Mme L'Heureux.

Manque d'information

Beaucoup de services existent pour les proches aidants, mais ils sont fractionnés. Qu'il s'agisse du CLSC ou des organismes, tous travaillent en silo. « Je suis persuadée qu'il y a des gens qui auraient aimé prendre leur proche à la maison, mais ils ne sont pas assez éclairés et trop démunis par rapport à la foule d'informations qu'il faut avoir », déplore Simon Lair, le conjoint de Sylvie L'Heureux, qui préconise la création d'un guichet unique.

LES PROCHES AIDANTS EN CHIFFRES

> Près de 500 000 proches aidants de 45 ans et plus occupent un emploi.

Source : Regroupement des aidants naturels du Québec

> Les proches aidants assument 80 % du soutien à domicile.

Source: Regroupement des aidants naturels du Québec

> La proportion de Québécois âgés de 65 ans et plus variait de 12 à 13 % en 1990. Elle sera de 25 % en 2031.

Source: Livre blanc sur l'assurance autonomie, ministère de la Santé et des Services sociaux

> 26,1 % des Québécois âgés de 65 ans et plus sont aux prises avec une incapacité grave ou modérée.

Source : Institut de la statistique du Québec

Dépenses de soins à domicile (excluant les crédits d'impôt)

2008-2009 : 982 297 176 $

2009-2010 : 1 033 496 657 $

2010-2011 : 1 060 136 907 $

Source : ministère de la Santé et des Services sociaux

Proches aidants qui donnent plus de 10 heures par semaine :

Québec : 8965 personnes

Montérégie : 17 405 personnes

Montréal : 28 425 personnes

Source: L'Appui pour les proches aidants