Malgré un important rapport - jamais rendu public - concluant qu'un projet de centre d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) en partenariat public-privé (PPP) est rentable si le bâtiment revient au secteur public au terme du contrat, le Québec fait toujours exception et cède ces bâtiments au privé.

Après le CHSLD Saint-Lambert-sur-le-Golf, les quatre autres projets de CHSLD actuellement en construction en PPP dans la grande région de Montréal n'appartiendront pas au réseau public au terme du contrat de 30 ans signé entre le gouvernement et les partenaires privés, a appris La Presse.

Les quatre projets, qui totalisent 300 lits, seront situés sur les territoires de Saint-Jean-sur-Richelieu, Granby, Laval et Châteauguay, et seront tous construits par le même groupe d'investisseurs de Laval.

«Le contrat est pour l'achat de places achetées à un prix fixe pour une durée de 30 ans», affirme Karla Duval, porte-parole de la Société québécoise des infrastructures. C'est donc dire que le gouvernement ne prendra pas possession des bâtiments une fois les contrats terminés.

Rapport ignoré

En 2004, le gouvernement du Québec a demandé à Guy Choinière, consultant qui a notamment travaillé chez SNC-Lavalin, chez Bombardier et à la Caisse de dépôt et placement du Québec, de préparer une «analyse comparative entre le mode PPP et le mode conventionnel» pour un projet de CHSLD de 228 places à Saint-Lambert. L'analyse, jamais diffusée, concluait que la construction en mode PPP permettrait d'économiser «entre 12,6 et 18,2 millions».

Mais alors que le rapport Choinière prévoyait qu'au terme du contrat en PPP de 25 ans, qui a été signé entre le gouvernement et le Groupe Savoie, le bâtiment serait cédé au réseau public, l'entente finale prévoit plutôt que le promoteur privé demeurera propriétaire de l'édifice. «C'est une différence majeure», estime Benoît Bachand, conseiller en finances chez MCE Conseils.

Le bâtiment au privé

Dans 25 ans, le CHSLD Saint-Lambert-sur-le-Golf vaudra entre 30 et 90 millions. Si bien que l'avantage fiscal estimé dans le rapport Choinière ne tient plus la route. «Si on regarde l'analyse et le contrat finalement signé, le mode PPP n'est pas avantageux», affirme M. Bachand, qui avait déjà estimé, en 2011, que le projet en mode PPP coûterait 60 millions de plus que prévu.

Selon Eddy Savoie, président du Groupe Savoie, c'est justement parce que le gouvernement n'est pas propriétaire du bâtiment que le projet de CHSLD en PPP est si avantageux.

«Chaque année, on doit capitaliser dans la bâtisse pour la garder en bonne condition. Le gouvernement sauve ça. On estime que le PPP permet d'économiser 98 millions sur 25 ans au gouvernement. C'est 4 millions par année!», affirme M. Savoie.

À la CSN, on croit plutôt que la différence entre l'analyse de M. Choinière et les contrats signés est inquiétante. «Il est indécent de constater qu'on a consenti des conditions aussi avantageuses à Eddy Savoie qui, rappelons-le, n'avait aucune expérience dans la gestion d'un CHSLD», estime Jeff Begley, président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN).

Décision unique au pays

Dans le domaine de la santé, les projets de PPP dans lesquels les bâtiments restent la propriété du partenaire privé sont extrêmement rares. Sans vouloir commenter en détail le cas québécois, le directeur général de PPP Canada, John McBride, confirme que dans la totalité des PPP en santé réalisés au pays, les bâtiments reviennent au public au terme des contrats.

«Il y a des clauses dans le contrat qui permettent au réseau public de s'assurer que la bâtisse soit en bon état à la fin. Si l'édifice n'est pas en bon état, le public ne paie pas», dit-il.

M. McBride affirme que la majorité des projets de PPP en santé au Canada touchent des hôpitaux. «Et on sait que le besoin pour des hôpitaux est tout le temps là. Mais dans le secteur des personnes âgées? Je ne sais pas. La décision revient à Québec», dit-il.

À la Société québécoise des infrastructures, on se contente de réponses laconiques en mentionnant que le mode PPP offre plusieurs avantages, notamment celui de «développer une solution intégrée regroupant la conception, la construction, la prestation de services, l'exploitation, l'entretien et le maintien d'actifs en un seul contrat».

Cet automne, le ministre de la Santé, Réjean Hébert, a annoncé que son gouvernement n'irait plus de l'avant avec des projets de PPP en santé.

Selon M. Begley, les détails du rapport Choinière devraient maintenant inciter le gouvernement à «corriger cette erreur en mettant en oeuvre sans attendre les solutions qui s'imposent».