Les vols d'opiacés d'ordonnance grimpent en flèche dans les hôpitaux et pharmacies de la province. Depuis avril 2012, une moyenne de 5800 doses par mois de Dilaudid, d'OxyContin et de ses génériques, de morphine et d'autres opiacés d'ordonnance ont été volées ou ont disparu des pharmacies et des hôpitaux de la province.

Depuis 2009, c'est plus de 330 000 comprimés ou capsules d'opiacés d'ordonnance qui ont disparu au Québec, dont près du tiers dans les 19 derniers mois seulement. À l'échelle du pays, près de 3,6 millions de comprimés ont été subtilisés depuis quatre ans.

Il s'agit des plus récentes données compilées par Santé Canada, que La Presse a obtenues. L'organisme fédéral compile tous les analgésiques prescrits sur ordonnance qui ont disparu des pharmacies, soit parce qu'ils ont été volés, soit parce qu'ils ont été mal comptabilisés.

Les données présentées ici ne tiennent pas compte des doses manquantes distribuées sous forme liquide ou sous forme de « patch ».



La « nouvelle héroïne »

À l'origine, les opiacés d'ordonnance sont des analgésiques narcotiques dérivés de l'opium pour atténuer la douleur forte ou modérée. Mais dans la rue, les opiacés d'ordonnance sont devenus la nouvelle drogue prisée des toxicomanes, la « nouvelle héroïne », comme plusieurs l'appellent.

« On constate un transfert vers les opiacés d'ordonnance depuis quelques années », indique la Dre Marie-Ève Morin, spécialiste en dépendance et en santé mentale à la clinique OPUS, à Montréal.

Les toxicomanes n'ont pas de mal à se procurer des opiacés d'ordonnance, une drogue plus pure, mais surtout moins chère que l'héroïne. Les deux plus populaires sont à base d'hydromorphone (notamment le Dilaudid) et d'oxycodone (l'OxyContin et ses génériques).

Résultat, on assiste à de plus en plus de vols en tous genres : vols d'analgésiques dans la pharmacie de la maison, fausses ordonnances et même braquages de pharmacie, notamment à Montréal, Laval, Trois-Rivières et Gatineau. Dans la rue, il est possible de trouver de la morphine, du Dilaudil ou des antidouleurs à base d'oxycodone pour une vingtaine de dollars.

À lui seul, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a saisi l'an dernier 1422 comprimés de Dilaudid. Jusqu'à maintenant, 362 comprimés ont été saisis en 2013.

Pas moins de 64 dossiers de fausses ordonnances ont été mis au jour cette année, dont 41 qui concernent le Dilaudid ou les autres médicaments à base d'hydromorphone.

Nombre grandissant de dépendants

Le problème est sérieux. Le nombre de toxicomanes accros aux opiacés d'ordonnance a dépassé le nombre d'héroïnomanes.

« Ça n'ira pas en s'améliorant. Ça va prendre combien de morts ? Il y en a chaque semaine, des morts de surdose par opiacés, mais c'est flou, on n'obtient pas les chiffres », indique la Dre Morin.

L'Institut national de santé publique doit d'ailleurs rendre publique très bientôt une première étude sur les morts liées aux opiacés d'ordonnance au Québec.

Il faut dire que le Canada est maintenant au deuxième rang des pays qui consomment le plus d'opiacés d'ordonnance, tout juste derrière les États-Unis. « L'Organe international de contrôle des stupéfiants indique que la consommation des Canadiens a augmenté de 203 % entre 2000 et 2010, ce qui représente une hausse plus marquée qu'aux États-Unis », peut-on lire dans un rapport récent produit par le Conseil consultatif national sur l'abus de médicaments sur ordonnance.

Des données compilées par le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies révèlent par ailleurs que, de 2006 à 2011, le nombre de visites aux urgences pour sevrage de narcotiques, pour surdose, psychose ou usage nocif a bondi de 250 % en Ontario. Les visites aux urgences pour des troubles mentaux découlant de la consommation d'opiacés ont aussi augmenté.

Mais il n'y a pas que les toxicomanes. Des malades, qui se sont vu prescrire des opiacés à la suite d'une opération ou d'un accident, acquièrent aussi une dépendance et ne peuvent plus s'en passer.

« Ce n'est pas le même type de dépendance, mais elle est aussi puissante », explique la Dre Morin. Dans sa clinique, elle reçoit de plus en plus de cas du genre. « J'ai reçu un patient, un cas de CSST, qui s'était blessé au dos. Il avait été opéré, mais la douleur a continué, alors les doses de morphine ont augmenté. Au bout de quelques années, il a atterri dans un centre de désintoxication. C'est de plus en plus fréquent », relate-t-elle.

Il est temps d'agir, dit-elle en pressant Québec de mettre en place un registre central qui permettrait de suivre les ordonnances des différentes pharmacies. Les ordonnances électroniques sont aussi attendues avec impatience, car il est facile actuellement d'imiter la signature d'un médecin pour se procurer de fausses ordonnances d'opiacés.