Des années après leur mort, les patients de l'unité des soins palliatifs de l'hôpital Mont-Sinaï ne sont pas oubliés. Leur nom, leur visage restent à jamais imprégnés dans la mémoire du personnel qui les a soignés.

Travailler auprès de patients qui vont mourir, c'est d'abord miser sur la vie. C'est le summum des soins infirmiers, estime Judith Marchessault, infirmière en chef aux soins palliatifs. « Notre travail, c'est d'accompagner quelqu'un qui est déjà mourant pour qu'il vive sa fin de vie le mieux possible. Quand on réussit, on est content. »

Pour y parvenir, les infirmières doivent faire preuve d'empathie et de sensibilité, mais tout en sachant se protéger émotivement. Elles doivent mettre une petite barrière entre elles et le patient, tout en rendant chaque fin de vie unique.

Certaines situations, qui rappellent aux infirmières leur vécu, sont parfois plus difficiles à vivre.

« Les femmes qui ont le même âge que moi, qui ont des petits enfants à la maison, c'est dur. Ça ne veut pas dire que si on met une barrière on n'a pas d'empathie. On fait notre travail comme il faut, mais il faut se protéger un peu sinon ça fait trop mal », confie Lidia Wiatrowski, infirmière en soins palliatifs depuis 15 ans et mère d'une petite fille de 4 ans.

Pour les infirmières spécialisées dans les soins à domicile, la proximité qui se développe avec les patients est encore plus grande. Elles les côtoient pendant des mois, au point de devenir très proches de la famille.

« J'avais une jeune patiente de 38 ans. Chaque fois que je passe devant sa rue, je pense à elle », se souvient doucement Kathy McDonald.

« Donner la paix »

Les soins palliatifs ramènent à l'essence même du travail infirmier. Les soins sont moins techniques, ils sont axés sur l'humain. C'est ce qu'apprécient les infirmières. « On donne la paix, la sérénité aux patients », explique Lidia Wiatrowski.

Chaque jour est différent du précédent. Les infirmières ne savent jamais si leurs patients seront encore là, au petit matin. Elles s'adaptent à l'humeur du moment. Elles rient avec leurs patients quand l'heure est à la bonne humeur. Il leur arrive aussi de pleurer.

Certaines périodes sont plus difficiles. En l'espace de deux semaines, Kathy MacDonald a été confrontée à la mort de huit de ses patients. Malgré tout, la vie continue. « C'est difficile de faire la coupure, mais ce n'est pas une bonne idée si tu penses à cela une fois rendue à la maison », dit-elle.

Se ressourcer est nécessaire, explique la Dre Golda Tradounsky, chef des soins palliatifs. « On veut être là. Mais si on veut être là le lendemain, le surlendemain, dans un an ou dans dix ans encore, il faut savoir se préserver, conserver ses énergies. »

LES PETITS PLUS QUI FONT LA DIFFÉRENCE

Comme au spa

Murale évoquant la mer, musique d'ambiance, éléments décoratifs et bain à remous, rien n'a été oublié pour recréer l'idée d'un spa. On se trouve pourtant à l'étage des soins palliatifs de l'hôpital Mont-Sinaï. Chaque mercredi, le préposé aux bénéficiaires Stephen Scott invite les patients au spa. C'est lui qui a lancé le projet, il y a quelques années déjà. Pendant une quinzaine de minutes, les patients ont l'impression de se retrouver ailleurs. « C'est un moment pour se libérer l'esprit, pour vivre un moment heureux », explique M. Scott, qui offre aux patients un massage de la tête, du cou et des épaules pour favoriser encore davantage la détente. « C'est bénéfique. Mon souhait serait de pouvoir l'offrir tous les jours parce que les gens m'en demandent toujours plus. »

La musique qui adoucit les moeurs

En fin de vie, la musicothérapie permet aux patients, mais aussi à leur famille, d'exprimer ce qu'ils sont incapables de dire avec des mots, ce qui leur procure un apaisement. Avec son chariot mobile, son clavier et ses cahiers de chants, Pierrette Laroche se déplace au chevet des patients. La musique les aide à communiquer ou à faire le point sur des événements marquants de leur vie. Elle peut même devenir un legs. « Il y a tellement de chansons qui se prêtent à envoyer un message d'amour et d'appréciation », explique Mme Laroche, musicothérapeute à l'hôpital depuis 2005. Un grand-père a ainsi composé et enregistré une chanson dans laquelle il raconte les espoirs qu'il a pour ses enfants et ses petits-enfants. Un père de famille a laissé à ses enfants de 4 et 6 ans une compilation des chansons importantes pour lui, afin qu'ils aient un petit quelque chose de leur père.

L'apport des bénévoles

L'apport des bénévoles est primordial. À l'hôpital Mont-Sinaï, ils doivent avoir suivi une formation de 21 heures pour travailler à l'unité des soins palliatifs. Ils aident les patients à manger, leur tiennent compagnie ou parlent avec la famille. Les bénévoles peuvent même être appelés à veiller une personne qui vit ses dernières heures quand aucun proche ne peut être présent. À 89 ans, Lisl Zadek est l'une des doyennes. Elle est bénévole depuis 15 ans. Les patients attendent impatiemment de la voir surgir dans l'embrasure de leur porte, poussant son chariot de biscuits toujours égayé d'une fleur. « Je me sens utile. Ça m'apporte autant que ce que je peux apporter aux patients », dit-elle.

Cérémonie de la vie

Deux fois par année, le jardin de l'hôpital Mont-Sinaï accueille les survivants : les familles qui ont vu un être cher mourir dans les derniers mois. Il ne s'agit pas d'un service religieux, mais d'un moment où les familles se recueillent et se remémorent l'être aimé avec les médecins, les infirmières et les préposés aux bénéficiaires qui ont veillé sur lui. Des poèmes sont lus, des fleurs sont déposées. Le personnel des soins palliatifs travaille beaucoup avec les familles. « On est là pour le patient, mais aussi pour son entourage, pour essayer que cette famille survive au deuil de façon adéquate », indique l'infirmière en chef des soins palliatifs, Judith Marchessault.

LE PROGRAMME « MOMENTS MAGIQUES »

Grâce à la générosité de donateurs, l'unité des soins palliatifs permet aux patients en fin de vie de réaliser un dernier voeu par le biais du programme « Moments magiques ». Un programme unique pour la clientèle adulte. Voici quelques voeux qui ont été réalisés.

Un mariage à l'hôpital 

Un patient en fin de vie devait être témoin au mariage de son fils, une semaine plus tard. Mais il n'allait pas se rendre jusque-là. Le personnel de l'hôpital a décidé d'organiser un petit mariage intime pour 13 personnes dans une salle de l'hôpital. En moins de quatre heures, la fête a été organisée. Les mariés ont eu droit à un lunch léger, un gâteau de mariage et aux traditionnelles fleurs de corsage et de boutonnière. Un ministre du culte a présidé la cérémonie et le père du marié a pu signer le certificat de mariage. Le lendemain matin, il est décédé paisiblement.

Retour chez soi

Une patiente hospitalisée souhaitait revoir son chalet dans les Laurentides. Un endroit qui lui est cher, mais où elle n'a plus la force de se rendre. L'hôpital Mont-Sinaï a organisé un barbecue familial à son chalet. La femme a pu s'y rendre en transport médical, accompagnée d'une infirmière pour la journée. Elle a visité les lieux qu'elle appréciait tant, comme un dernier adieu. Elle a ensuite accroché fièrement une photographie immortalisant cette journée dans sa chambre d'hôpital.

Un anniversaire hors de l'ordinaire

Pour l'anniversaire d'une patiente, l'hôpital a organisé une sortie au casino de Montréal, avec transport en limousine et repas sur place. La machine à sous préférée de la patiente avait même été réservée pour elle. La femme était très heureuse de partager ces moments avec sa famille. Elle est morte cinq jours plus tard.

Billets d'avion pour la famille

Il n'est pas rare que le programme des « Moments magiques » permette de faire venir de l'étranger les proches d'un patient pour permettre à la famille de se retrouver. Les familles viennent d'aussi loin que des Philippines, d'Israël ou du Chili. Une femme vivant en Pologne a ainsi pu voir son père mourant qu'elle n'avait pas vu depuis 20 ans.

HISTORIQUE 

L'hôpital Mont-Sinaï a vu le jour en 1909 à Préfontaine, dans les Laurentides, à l'initiative de la communauté juive. Il comptait 12 lits destinés à une clientèle souffrant de tuberculose. Le sanatorium s'est agrandi puis, avec l'avènement de traitements efficaces, l'établissement de 92 lits s'est transformé pour accueillir des patients souffrant de maladies respiratoires. L'hôpital a déménagé à Montréal en 1990, dans ses locaux actuels. Il reçoit maintenant des patients hospitalisés en soins de longue durée, en soins respiratoires et en soins palliatifs.