Ranbaxy n'est pas la seule entreprise étrangère à vendre des remèdes qui éveillent les soupçons du milieu de la santé. Chaque année, les médecins, infirmiers et pharmaciens des hôpitaux québécois se plaignent par dizaines que certains médicaments sont de mauvaise qualité, voire inefficaces, révèle le président du comité des pharmaciens du plus grand groupe d'achat de la province, Sigmasanté.

Pour Jean-François Bussières, les ratés restent occasionnels et certains sont inévitables. La situation lui semble toutefois «préoccupante» depuis que la majorité des médicaments est fabriquée à l'étranger - surtout en Inde et en Chine, où les lois sont moins strictes et où les inspecteurs nord-américains se rendent de façon rarissime.

«Il y a des risques associés à la mondialisation, alors il faut être plus vigilant», estime M. Bussières. Dans certains cas, précise-t-il, des groupes de pharmaciens ont eu vent de problèmes grâce à une veille électronique sur le web, sans avoir jamais été alertés par leur fournisseur.

Parfois, le danger est grand. Ces derniers mois, deux entreprises, Apotex (fabricant d'Alysena) puis Mylan Pharmaceuticals (Esme-28 et Freya-28), ont dû rappeler des boîtes de pilules contraceptives fabriquées à l'étranger, parce qu'un comprimé ne contenait pas d'ingrédient actif alors qu'il aurait dû en contenir. Ce qui a exposé près d'un demi-million de Canadiennes à une grossesse non désirée. Les deux derniers rappels concernaient la même usine indienne.

En 2008, une entreprise américaine, Baxter, a aussi fait les manchettes après avoir importé du sang de cochon chinois pour fabriquer son héparine. Le sang était contaminé. Des patients sont morts et d'autres ont subi de graves séquelles.

Pénuries

Les découvertes répétées de défaillances causent aussi de graves pénuries puisqu'il faut alors arrêter la production de façon brutale.

«La recherche d'économies massives, c'est un peu ce que ça donne, déplore la présidente de l'Ordre des pharmaciens du Québec, Diane Lamarre. Le médicament n'est pas un bien de consommation comme les autres. Pourtant, la loi n'a pas évolué au gré des bouleversements des cinq à dix dernières années.»

Les ressources non plus. «Avec des milliers d'usines étrangères et très peu d'inspecteurs, comment Santé Canada prétend-elle nous protéger?», demande Alan Cassels, chercheur à l'Université de Victoria et auteur de Selling Sickness.

Le Ministère fédéral a réalisé 35 inspections hors frontières entre 2007 et 2012 - soit seulement 7 par année - et il en garde les résultats secrets, dénonce le chercheur dans le Canadian Medical Association Journal de 2012.

L'Ordre des pharmaciens s'interroge. «On s'obstine par ailleurs à repasser sur des produits qui ont déjà reçu une certification des Américains, alors qu'on laisse entrer des lots complets sans les inspecter, observe Diane Lamarre. Peut-être devrait-on mettre nos ressources en commun pour se répartir le travail.»

Le problème, c'est que la Food and Drug Administration américaine (FDA) est tout aussi dépassée. Alors que 80% des ingrédients actifs des médicaments sont fabriqués à l'étranger (selon des estimés américains), seulement 11% des usines étrangères sont inspectées annuellement.

Dans un rapport de septembre 2010, le US Governement Accountability Office (GAO) affirme qu'il y a «un besoin urgent» de mieux protéger le public. Neuf ans s'écoulent, en moyenne, entre chaque inspection dans les usines étrangères, même si c'est là qu'on détecte généralement les plus graves défaillances, écrit-il. Pire encore, 2400 de ces usines (sur 3765) n'ont pas été inspectées une seule fois.

«Pour ceux qui ne sont pas surveillés, il est tentant de tourner les coins rond pour économiser. C'est un avantage par rapport aux usines locales qui sont régulièrement inspectées et ça met le public en danger», prévient John DiLoreto, directeur général, du Bulk Pharmaceuticals Task Force, une association de fabricants américains.

Résultat: l'industrie a accepté de verser 300 millions par an à la FDA, pour qu'elle embauche massivement et que, d'ici cinq ans, ses taux d'inspection soient identiques à l'intérieur et à l'extérieur des frontières.

Sanctions

«Pour l'instant, ce qui s'est passé chez Ranbaxy se produit presque à coup sûr chez d'autres fabricants. On se place considérablement en danger en se fiant sur l'Inde pour être approvisionné en médicaments», estime néanmoins Amir Attaran, professeur aux départements de droit et de médecine de l'Université d'Ottawa.

À ses yeux, il faudrait imposer des sanctions commerciales aux pays qui ne réglementent pas leurs exportateurs de médicaments et il faudrait exiger que ces derniers prouvent que leurs produits sont sûrs. En Inde, illustre-t-il, il manque au moins 500 inspecteurs à la Central Drugs Standard Control Organization (selon un récent rapport parlementaire).

Dans la foulée du scandale Ranbaxy, le gouvernement indien a au contraire déclaré aux médias locaux que son industrie pharmaceutique était sûre, très règlementée. Et que ses concurrents étrangers, choqués par ses bas prix, tentaient désespérément de lui faire mal.