Dans sa clinique de Laval, le dermatologue spécialisé dans l'épilation au laser Daniel Barolet reçoit toutes les semaines des patientes qui souffrent des effets secondaires de l'épilation au laser ou à la lumière pulsée (IPL). Or, ces effets sont parfois les conséquences d'un désir d'économiser qui peut avoir des impacts importants sur la santé.

Les patientes du Dr Barolet ont des taches brunes ou blanches, des brûlures ou des cicatrices qui risquent de s'infecter. La raison? L'appareil qu'on a utilisé pour les traiter était trop fort et la personne qui le tenait, trop inexpérimentée pour s'en rendre compte. «Il n'y a pas de réglementation pour l'achat et l'utilisation du laser et de l'IPL. La formation est désuète. C'est une aberration», déplore le dermatologue. Sa consoeur Dominique Hanna, présidente de l'Association des dermatologistes du Québec, est d'accord. «Vous pourriez vous acheter une machine au laser et vous improviser esthéticienne demain matin», lance-t-elle. Vérification faite, ces instruments pullulent sur les sites de petites annonces, où leur prix de vente varie de quelques centaines à plusieurs milliers de dollars.

Il n'existe actuellement qu'une formation de 60 heures sur la photoépilation. Elle a été mise sur pied par le Comité sectoriel de la main-d'oeuvre des services de soins personnels (CSMSSP) en 2005 et se fait sur une base volontaire. Seulement 13% des esthéticiennes du Québec l'ont suivie depuis qu'elle existe. Certes, ces professionnelles affichent leur attestation dans leur clinique. Mais il est impossible de la voir quand on achète un forfait sur un site d'achats groupés, assis derrière un écran d'ordinateur.

Résultat: certaines personnes mettent leur santé à risque pour économiser, remarque Daniel Barolet. «Si une esthéticienne peu expérimentée croit traiter de la couperose avec l'IPL, mais que la rougeur est finalement signe que la patiente a le lupus, c'est dangereux, illustre-t-il. On peut également confondre un mélanome avec une tache brune et enterrer un cancer. On enlève la partie visible, mais le cancer continue de proliférer.»

L'avènement de la photoépilation a créé un boom dans le monde de l'esthétique. En 2004, le CSMSSP dénombrait 7295 esthéticiennes au Québec. Sept ans plus tard, elles étaient 13 000.

Des traitements populaires

Pour la directrice générale du Comité, Carole Drolet, il est évident que la popularité de l'épilation explique cette forte croissance. «On a remarqué que ces technologies-là étaient en hausse, mais que les techniciennes n'avaient pas de formation, ou que la formation était faite par le fabricant, et qu'elle était inadéquate. Aussi, n'importe qui pouvait, et peut toujours, acheter ce type d'équipement. On demande que ce soit homologué par Santé Canada, mais ça ne l'est pas encore», dénonce-t-elle. En fait, Santé Canada réglemente la fabrication, la vente et la publicité des instruments médicaux, mais remet aux fabricants la responsabilité d'assurer la sûreté et l'efficacité de son instrument. Quant à l'utilisation de l'équipement, elle doit être supervisée par le salon, précise le Collège des médecins. «Je ne suis pas confiant à 100% que tout est correct, admet Yves Robert, secrétaire du Collège des médecins. Mais la probabilité qu'il puisse y avoir une erreur est réduite par le fait qu'il y ait une formation.»

En 2010, le CSMSSP a envoyé une demande au ministère de l'Éducation pour ajouter une formation obligatoire en photoépilation. Son inclusion dans le programme d'esthétique se fait toujours attendre, mais des «travaux sont en cours», assure-t-on dans l'organisation gouvernementale provinciale.

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Une clinique à l'hygiène douteuse

En avril 2012, Aryane a acheté une aubaine sur le web: un forfait d'épilation IPL pour trois zones du corps, au prix de 280$. Au final, elle se sera débarrassée des poils qui l'indisposaient pour 1525$... et en échange de lésions dermatologiques causées par le molluscum contagiosum.

Aryane admet avoir eu des doutes sur la propreté de la clinique de l'ouest de Montréal qu'elle a fréquentée dès qu'elle a commencé ses traitements. «La technicienne n'a pas regardé mon poil, elle l'a rasé, puis elle a remis le rasoir dans un tiroir sans le nettoyer», relate-t-elle. Son amie, qui a reçu son traitement après elle, a remarqué que la technicienne n'avait pas changé la serviette entre les deux rendez-vous.

Quelques mois après le début de leurs traitements, qu'elles n'ont pu annuler car elles les avaient déjà payés par l'entremise du site d'achats groupés, les deux copines se sont retrouvées avec le molluscum contagiosum, une infection virale se manifestant par des petites bosses rougeâtres qui se répandent sur la peau. «Mon dermatologue m'a dit que l'infection était due à l'insalubrité des lieux», se rappelle Aryane.

«La prévalence des molluscum augmente quand certaines parties du corps sont rasées, parce qu'elles sont davantage exposées à la friction, explique Daniel Barolet. Or, quand on se fait épiler, on se fait raser avant et on devient plus à risque d'en attraper par contact. Dans ce cas-ci, puisque deux personnes ont attrapé des molluscums à la même clinique, il est fort possible que la salubrité des lieux soit en cause», dit-il.

Pour la présidente de l'Association des dermatologistes du Québec, Dominique Hanna, l'explication est valable, bien que le molluscum contagiosum soit habituellement transmis lors de contacts entre les organes génitaux. «Je suis abasourdie d'entendre qu'on utilise le même rasoir deux fois dans certaines cliniques, remarque-t-elle également. Les molluscum sont bénins, mais s'il y avait des coupures, on pourrait penser au VIH. En 2013, ça n'a pas de bon sens.»

Tout compte fait, Aryane a déboursé 600$ pour ses traitements dans cette clinique, où on l'avait convaincue d'acheter «deux zones supplémentaires» avant sa première séance. Ses visites dans une clinique de dermatologie privée lui ont coûté 200$. Pour se débarrasser de ses poils indésirables pour de bon, elle s'est finalement rendue dans une clinique qui offre l'épilation au laser pour 725$. Coût total des traitements: 1525$.