Plus de 600 médecins, psychiatres, sociologues et universitaires sont réunis cette semaine à Montréal pour le premier congrès mondial sur le suicide. Sujet tabou dans plusieurs sociétés, le Québec tente plus que tout de comprendre ce fléau. Le Bureau du coroner a même ouvert ses archives pour que des chercheurs relisent les lettres qu'ont laissées les suicidés depuis 1763. Un exercice pénible, mais révélateur.

Depuis quelques années, Patrice Corriveau et son équipe de chercheurs de l'Université d'Ottawa lisent les lettres qu'ont écrites et laissées des milliers de Québécois avant de mettre fin à leurs jours. Au total, plus de 5000 écrits ont été répertoriés, qui nous en apprennent sur l'évolution du suicide dans la province depuis aussi loin que 1763.

«Le suicide a longtemps été considéré comme un crime grave. On est passés progressivement d'un comportement punissable à un problème de santé mentale. En 1925, en Outaouais, un médecin a écrit, dans un dossier du coroner: «On m'a dit qu'un homme a tenté de se suicider. Je n'ai pas monté immédiatement, je me suis dit que je vais appeler le chef de police. Je lui ai téléphoné, on s'est rendus sur les lieux et j'ai monté dans la chambre. Là, j'ai pu intervenir» «, raconte, médusé, M. Corriveau.

Au début du XIXe siècle, alors que plusieurs Européens font la grande traversée pour venir s'établir en Amérique du Nord, certains désespérés viennent choir sur les côtes québécoises pour mettre fin à leurs jours. C'est un geste altruiste, analyse le professeur, pour épargner leur famille des conséquences sociales qu'aurait leur acte sur eux.

Trois évènements éprouvants

Le XXe siècle apporte son lot de défis sociaux et économiques. La Première Guerre mondiale, la grande dépression économique, l'émigration canadienne vers les États de la Nouvelle-Angleterre. Trois événements qui ont poussé les Québécois à se suicider, constatent les chercheurs en lisant les lettres qu'ils ont laissées.

«Les gens écrivaient principalement à Dieu. Puis, vers les années 50, les personnes commencent à adresser leurs derniers écrits à leur famille ou au coroner. J'ai devant moi des histoires touchantes, comme cette jeune fille qui raconte pourquoi elle met fin à ses jours, après être tombée enceinte, hors mariage, lorsqu'elle a déménagé en ville. Son retour dans sa communauté lui était alors impensable», raconte le professeur Corriveau.

Le boum des années 50

Dans les années 50, rien ne va plus. Si le Québec était autrefois une des sociétés où l'on se suicidait le moins, il y a un revirement de situation.

De 1950 à 2000, le nombre annuel de suicides se multiplie par 9, passant de 145 à plus de 1300 cas par année. Parmi les pays membres de l'OCDE, le Québec est chef de file.

Monique Séguin est professeure en psychologie à l'Université du Québec en Outaouais (UQO). Elle a étudié le parcours des personnes qui se sont enlevé la vie pour définir les premiers jalons qui mènent aux pensées suicidaires.

«On a identifié deux trajectoires. Il y a d'abord ceux pour qui la vie commence mal. Ils sont victimes d'abus tôt dans l'enfance et développent des problèmes de santé mentale. Ils décèdent pour la plupart en bas de 25 ans», explique la professeure Séguin.

«La deuxième trajectoire est un groupe pour qui la vie commence bien, mais où les difficultés apparaissent à l'adolescence. C'est comme si la vie s'effrite lentement. Souvent, une rupture ou un choc émotionnel les mène au suicide, plus tard dans la vie, lorsque sans ressources», dit-elle.

Encore aujourd'hui, les hommes sont plus susceptibles que les femmes de se suicider. La dépression demeure un signal d'alarme, disent les chercheurs rassemblés au premier congrès mondial sur le suicide, qui se tient cette semaine à Montréal.

Dix pourcent des personnes à qui on a diagnostiqué une dépression grave se suicident, explique le psychiatre et professeur à l'Université McGill Fabrice Jollant. Souvent, dit-il, les ressources ne sont pas à la disposition de ceux qui en ont besoin. «Il faut faciliter l'accès aux services psychologiques. Les gens qui souffrent de dépression ne sont pas les meilleurs pour aller chercher de l'aide. C'est à nous de les identifier. Quand le système est ardu pour avoir accès à de l'aide psychologique gratuite, il y a peu de chances que ceux qui en ont besoin aillent la chercher», conclut-il.

* Si vous pensez au suicide ou si vous connaissez une personne qui serait sujette à des pensées suicidaires, appelez ce numéro: 1-866-APPELLE.